Vers un revirement étatsunien dans le Caucase ?
M. Kouchner vient de le déclarer : les missiles S-300 russes déployés en Abkhazie (que Ria Novosti situe à tort dans le Caucase du Nord) ne déséquilibrent pas la région et ne présentent de menace pour personne, puisqu'il s'agit d'un dispositif défensif. Faut-il voir là une opération de charme des alliés de Washington à destination du gouvernement de Soukhoumi, à l'heure où l'expert ancien collaborateur de la CIA Paul Goble, conseille aux USA et à la Géorgie de reconnaître l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud pour déstabiliser le Nord du Caucase (russe) où les violences se poursuivent ?
Les Etats-Unis sont enclins aux revirements d'alliances en ce moment : à la recherche d'une alliance stratégique avec le gouvernement communiste du Vietnam (où ils ont tué deux millions de personnes) dans leur stratégie d'encerclement de la Chine, les responsables de l'administration Obama sont prêts à vouer aux gémonies leur allié serbe Tadic, qu'ils avaient soutenu pendant des années à Belgrade, depuis que celui-ci déploie une diplomatie un peu trop efficace contre la reconnaissance du Kosovo.
Les mêmes revirements seraient-ils envisageables dans le Caucase.
En mai 2010 le président Obama avait estimé que la situation de la Géorgie (qui voudrait récupérer ses deux républiques sécessionnistes) n'était plus un obstacle à la signature d'un traité nucléaire avec la Russie. Selon Simon Shuster il y aurait un véritable lâchage de la Géorgie par Washington qui n'a pas apprécié l'émission télévisée du 13 mars au cours de laquelle une fausse information sur une invasion russe a provoqué la panique dans le pays.
Le président russe Dimitri Medvedev quant à lui,est identifié depuis longtemps comme plus favorable aux Etats-Unis que son premier ministre Vladimir Poutine, ce qui s'est traduit par un rapprochement russo-américain sur le dossier du nucléaire iranien et la signature d'un accord de défense entre la Russie et Israël aujourd'hui 7 septembre.
La possibilité d'un évolution des alliances autour du Caucase reste cependant limitée la place capitale de la Géorgie dans les divers dispositifs stratégiques occidentaux, notamment pour mener la guerre en Afghanistan et pour une éventuelle attaque contre l'Iran.
F. Delorca
Une ONG catholique et un lobby états-unien critiquent le régime du Cameroun
Dans un article mis en ligne le 24 août, Bruno Angsthelm, du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD, une ONG influente basée à Paris) s'alarme de l'impossibilité d'une alternance politique au Cameroun. Le Président Paul Biya aujourd'hui âgé de 77 ans a obtenu en 2008 la modification de la constitution permettant qu'il exerce un nouveau mandat. Les élections auront lieu l'an prochain. Au pouvoir depuis 1982, responsable d'une répression sanglante des émeutes de la faim en février 2008, le président Biya est dans le collimateur de plusieurs ONG sur la question du respect du pluralisme et des droits de l'homme.
L'International crisis group financé par George Soros et proche des démocrates aux Etats-Unis s'est aussi intéressée au régime de Paul Biya très récemment. Fin mai un de ses rapports soulignait l'instabilité potentielle du Cameroun. Dans la foulée, le 8 juin, à Douala, l’ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun Janet E. Garvey s’est adressée à des hommes d’affaires, membres de la Chambre de commerce américaine, une structure créée au Cameroun il y a trois ans, pour dénoncer la corruption au sommet de l'Etat camerounais. Certains courants du parti démocrate à Washington pousseraient au Cameroun la candidature de Christopher Fomunyoh , le coordonnateur pour l’Afrique centrale du National Democratic Institute (Ndi), proche lui aussi du parti démocrate étatsunien, à l’élection présidentielle de 2011.
Toutefois les Etats-Unis, tout comme la France, sont très loin d'avoir abandonné Paul Biya. Leur allié, Israël, a récemment formé un corps d'élite au sein de l'armée camerounaise, le Bataillon d’intervention rapide, apparemment en concurrençant les cadres militaires français, spécialement pour sa protection. Nicolas Sarkozy à l'issue d'une visite de son ami Paul Biya en France lui a imposé la nomination d'un vice-président, afin que le système camerounais puisse se reproduire dans de meilleures conditions que le régime togolais à la mort d'Eyadéma ou le régime ivoirien après le décès d'Houphouët Boigny, ce qui n'est pas sans poser des problèmes ethniques. La désignation du vice-président pourrait être un moyen de ménager les intérêts états-uniens et français au Cameroun en ouvrant les perspectives d'une sortie "en douceur" de l'ère Biya.
L'économie du Cameroun est largement entre les mains de la holding française Bolloré qui contrôle ses chemins de fer, son port maritime (Douala), et directement ou indirectement une bonne partie de son agriculture (le groupe a lancé récemment des actions en justice contre des journalistes qui mettaient en cause la manière dont il traitait sa main d'oeuvre au Cameroun). En octobre 2007, le journal du groupe Bolloré Matin Plus en collaboration avec le Monde a vanté la politique de Paul Biya, et le groupe soutient la Fondation de l'épouse du chef de l'Etat Chantal Biya, une association caritative dont le nom a été évoqué à diverses reprises dans des affaires de corruption (fondation qui bénéficie certes aussi de dons chinois...). La découverte récente de nouveaux gisements pétroliers par Total devrait rendre ce pays (qui déjà tire la moitié de ses recettes à l'exportation des hydrocarbures) encore plus attractif pour ses parrains occidentaux.
Après la Mer Jaune, l'US Navy s'invite en Mer de Chine méridionale
A la "Une" du Quotidien du Peuple (organe du comité central du PC chinois) aujourd'hui "Est-ce que les Etats-Unis cherchent des noises dans la mer de Chine méridionale ou est-ce qu'ils veulent maintenir le paix ?"
L'article fait suite aux déclarations de l'amiral Robert F. Willard le 18 août selon lesquelles les Etats-Unis se maintidendront militairement pour longtemps dans la mer de Chine méridionale pour "s'opposer à l'usage de la force" dans le cadre du litige opposant la Chine, le Vietnam, Taiwan, les Philippines, la Malaisie et Brunei sur l'achipel des Spartleys (dont chacun occupe une partie). Il accuse Willard d'exagérer la nature des tensions dans cette région et rappelle que la Chine aux côtés de l'ASEAN (Association des nations de l'Asie du Sud-Est) s'est engagé avec tous les pays d'Asie du Sud-Est à rechercher des issues pacifiques aux litiges territoriaux.
Il s'avère en effet que l'ASEAN et la Chine ont défini en 2002 un code de bonne conduite pour la résolution du litige territorial des Spartly et des négociations sont en cours pour le rendre plus contraignant. Dans ce contexte, les déclarations successives de Robert Gates, Hillary Cinton et de l'amiral Willard sur l' "intérêt national" des Etats-Unis à garantir par leur présence militaire dans cette zone le règlement pacifique des contentieux ne peut apparaître que comme une ingérence assez brutale.
Derrière ces gesticulations se cache en fait un nouvel épisode de la guerre du pétrole entre la Chine et les Etats-Unis.
Bien que l'archipel des Spratleys ne représente que quelques centaines d'îlots, ils sont censés reposer sur de grandes réservations de pétrole et de gaz naturel, et ils contrôlent des voies de la navigation de la région et des fonds de pêche principaux. La flambée des prix du pétrole n’a pas facilité les choses. La Chine qui souffre d’une pénurie d’énergie qui l’a conduite à des coupures d’électricité s’intéresse aux réserves d’hydrocarbures de l’archipel. En juillet 2004, les Philippines ont protesté contre les actions exploratoires de PétroChina trop près des îles contestées.
Le mois précédent, Taiwan avait demandé une clarification des frontières autour de l’archipel. Taipeh entretient des bases sur les îles de Dongsha et de Nansha proches de l’archipel litigieux et a construit un poste d'observation sur un récif au large de la plus grande île de l'archipel. Les Vietnamiens, eux, ont construit le petit aéroport sur Truong Sa Lon sur une autre île. Les sources vietnamiennes prétendent que les 600m de la piste sont seulement conçus pour accueilir des vols de touristes. Les Américains et les Philippins ont de leur côté organisé des manoeuvres militaires dans la province occidentale de Palawan pas loin des Spratleys au début de l'année.
Selon les experts américains une guerre en mer de Chine méridionale serait désastreuse pour le commerce international, 50 % du tonnage marchand et 30 des cargaisons de pétrole brut passent par les Spratleys.
La nouvelle source de tension en mer de Chine méridionale fait suite à un autre bras de fer, qui a eu lieu en juillet en Mer Jaune, plus au nord. Après que la Corée du Nord ait été accusée d'avoir coulé un navire militaire sud-coréen, le Cheonan, en mai dernier (en fait un navire qui pourrait bien avoir été plutôt coulé par une mine flottante américaine), les Etats-Unis ont organisé dans la Mer jaune des exercices militaires conjoints avec la Corée du Sud en vue d'impressionner Pyongyang. La Chine s'est opposée vivement à la participation du porte-avion à propulsion nucléaire le George Washington, néanmoins les Etats-Unis ont maintenu leur décision et le porte-avion continuera de participer à des manoeuvres conjointes avec la Corée du Sud dans les mois qui viennent, comme il l'a fait en octobre 2009. Notons d'ailleurs que la Corée du Sud depuis qu'elle a élu un président belliciste en 2008 ne cache plus ses intentions d'envahir la Corée du Nord (même si certains supporters de Washington préfèreraient que la Chine se charge elle-même du "sale boulot").
Ces tensions n'ont cependant pas empêché la Chine d'envoyer une flottille à Vladivostok pour participer à des manoeuvres navales le 22 août avec Russes, Américains et Japonais dans le cadre d'opérations de lutte contre le trafic de drogue dans le Pacifique nord.
Le Pacifique est depuis 10 ans le lieu d'une course aux armements généralisée et une des zones les plus dangereuses pour la paix mondiale.
F. Delorca
Nouvelles pressions sur l'Iran
Sommes-nous à la veille d'une intervention militaire contre l'Iran ? Fidel Castro l'a affirmé avec véhémence à la fin du mois de juin. L'ancien ministre de Reagan Paul Craig Roberts faisait le même pronostic en mars dernier en ces termes :
"Aux dernières nouvelles, les militaires des États-Unis acheminent des bombes anti-bunker d'expédition à la base aérienne des États-Unis chez Diego Garcia dans l'Océan Indien. Le Herald Scotland signale que les experts disent que les bombes sont concentrées pour une attaque sur les installations nucléaires de l'Iran. Le journal cite Dan Plesch, directeur du centre pour des études internationales et de diplomatie de l'Université de Londres : « Ils se dirigent vers la destruction totale de l'Iran. »
La prochaine étape sera la mise en scène d'une « attaque terroriste», un leurre prévu par l'opération Northwoods, et l'Iran sera accusée. Comme l'Iran et sa conduite sont déjà diabolisés, ce leurre suffira pour obtenir le soutien public européen et étatsunien pour bombarder l'Iran. Le bombardement ira au delà des installations nucléaires et continuera jusqu'à ce que les Iraniens soient d'accord sur le changement de régime et l'installation d'un gouvernement de marionnettes. Les médias américains corrompus présenteront la nouvelle marionnette sous le nom de « liberté et démocratie. »"
Il est vrai que Paul Craig Roberts avait fait la même prophétie en 2008 heureusement à tort... L'envoi d'une flotte de douze bateaux de guerre étatsunien et un israélien dans le Golfe persique en juin dernier a cependant accru les interrogations a ce sujet, tandis qu'un attentat contre une mosquée iranienne à Zahedan le 15 juillet dernier, pose à nouveau la question de l'ingérence des services secrets occidentaux dans la déstabilisation du pays (comme en octobre dernier au Sistan-Balouchistan, le gouvernement iranien met en cause la milice sunnite des Soldats de Dieu, les Joundallah qui serait en contact avec le CIA au Pakistan).
Les prédictions sur les chances réelles de voir une guerre ouverte éclater sont toujours délicates. Faire croire en la possibilité d'une guerre fait partie intégrante du jeu politique pour impressionner l'adversaire. Et cependant il n'est jamais certain que le bluff ne débouchera pas sur un conflit effectif.
Il est clair en tout cas que les Occidentaux ont marqué des points récemment sur le plan du rapport de force politique en obtenant le ralliement de la Russie à une politique de sanctions contre Téhéran. Le 10 juin dernier le Conseil de sécurité de l'ONU a donc pu voter une quatrième série de sanctions prévoyant des interdictions de voyage et des restrictions financières visant plusieurs individus et entités liés aux activités nucléaires de Téhéran, notamment les compagnies maritimes iraniennes et les Gardiens de la Révolution. Seuls la Turquie et le Brésil très actifs dans la recherche d'une solution diplomatique (Ahmadinejad était à Brasilia en novembre dernier) ont voté contre, le Liban s'est abstenu.
Dans la foulée, les Etats-Unis et l'Union européenne ont adopté leur propre train de sanctions unilatérales contre l’Iran plus sévères que celles prévues par le Conseil de sécurité de l'ONU, notamment en ce qui concerne les investissements énergétiques. La Russie a toutefois condamné ces mesures complémentaires, les jugeant «inacceptables ». Comme le soulignait récemment l'Asia Times, ces mesures pourraient coûter cher à l'Union européenne, qui, à la différence des Etats-Unis, importe du pétrole iranien et pourrait se faire dépasser par les pays asiatique sur ce marché.
Comme si cela ne suffisait pas, des entreprises prennent des initiatives unilatérales non prévues par l'Union européenne. Tel est le cas de Total, qui a décidé d’arrêter de vendre de l’essence à l’Iran. Comme le rappelle Alain Gresh du Monde Diplomatique, "en 1996, le congrès américain avait adopté l’Iran-Libya Sanctions Act, qui permettait de prendre des sanctions contre des sociétés étrangères investissant plus de 20 millions de dollars par an dans le secteur énergétique libyen ou iranien. A l’époque, la France avait refusé de se soumettre à ce diktat. Autres temps, autres mœurs..."
Les néoconservateurs américains, eux, se préparent à intensifier leur campagne pour une intervention militaire contre l’Iran. La revue Commentary estime que les sanctions n'ont servi à rien et qu'il faut passer à l'action militaire. De même Jeff Goldberg dans The Atlantic, correspondant du New Yorker et autrefois fervent adepte de la guerre en Irak. D'une manière générale les anciens partisans de la guerre d'Irak retrouvent de la voix sur le dossier iranien, même en Europe. Ainsi le 26 juin dernier, l’ancien Premier ministre espagnol José Maria Aznar, l’ancien ambassadeur américain à l’ONU John Bolton, étaient âux côtés centaines de parlementaires européens, canadiens et du Moyen-Orient à Taverny (région parisienne) pour soutenir l'organisation politico-militaire d'opposition, les Moudjahidines du peuple qui y organisait une grande manifestation. Mais dans cette affaire les jeux d'alliance sont complexes. Si l'on accuse les Moudjahidines du peuple d'être financés par la CIA, et de compter de nombreux soutiens parlementaires aux Etats-Unis (où ils sont pourtant officiellement inscrits sur la liste des organisations terroristes), ceux-ci ont aussi récemment reçu, bien au delà des cercles néoconservateurs, le soutien de 320 députés français, sous l'impulsion de l'apparenté communiste Jean-Pierre Brard, qui ont signé un appel demandant notamment aux Etats-Unis de protéger les Moudjahidines du peuple basés en Irak.
L’Iran de son côté s’est dit prêt à des négociations avec Catherine Ashton (« ministre des affaires étrangères » de l’Union européenne) après le ramadan. D’autre part, l’AIEA a confirmé « avoir reçu la réponse de Téhéran aux interrogations du groupe de Vienne (Etats-Unis, Russie, France) sur la proposition d’échange de combustible nucléaire faite par le Brésil, la Turquie et la République islamique ».
Le 2 août Mahmoud Ahmadinejad a proposé au président Barack Obama un débat télévisé, et a annoncé qu'il s'exprimera à l'assemblée générale des Nations Unies en septembre. La proposition de débat a été immédiatement taxée de "défi" et de "provocation" par les grands médias bellicistes occidentaux. Noam Chomsky rappelait récemment que l'escalade anti-iranienne des derniers mois, et notamment la militarisation croissante du golfe persique et de la base de Diego Garcia dans l'Océan indien ne contribue qu'à faire reculer le programme de dénucléarisation de la planète officiellement avancé par les grandes puissances.
Reprise du débat sur la guerre en Afghanistan après les fuites sur WikiLeaks
Quelque 92.0000 documents secrets sur la situation en Afghanistan depuis 2004 ont été publiés le lundi 26 juillet par le site WikiLeaks (accessible aussi ici). Ces éléments qui n'apportaient rien de neuf au débat public ont néanmoins permis de faire rebondir les discussions. Le sénateur républicain du Texas, ex-candidat à la présidence, et adversaire convaincu des guerres impériales américaines, Ron Paul ainsi que le représentant démocrate de gauche Dennis Kucinich ont tenté de faire adopter au Congrès le 27 juillet un amendement au War power Act sur la présence des troupes américaines au Pakistan, base arrière des talibans, pour en obtenir le retrait. Il n' ont toutefois obtenu que 38 voix (un dixième du total) dont 32 démocrates. La Chambre des représentants a néanmoins débloqué près de 60 milliards de dollars pour le financement du conflit afghan et l'envoi des 30.000 soldats supplémentaires annoncés par le président Obama en décembre
En Allemagne les fuites de documents secrets sur la guerre d'Afghanistan semblent pousser les sociaux-démocrates et les Verts, qui découvrent dans ces documents des éléments dont le gouvernement de Mme Merkel ne leur avait jamais parlé, à s'opposer à l'extension des missions des soldats allemands dans ce pays (cependant le premier ministre est de toute façon assuré de pouvoir recueillir suffisamment de voix pour faire passer son projet).
Selon l'organisation afghane de la protection des droits de l’Homme Afghanistan Rights Monitor qui, depuis le premier jour de l’invasion, fait le compte des victimes civiles du conflit national, au premier semestre de cette année, 1074 civils ont été tués et 1500 ont été blessés. Durant la même période de 2009 le nombre de victimes était de 1059. Ces chiffres pourraient s'alourdir à l'heure où le général Petraeus recommande aux soldats de se rapprocher de la population afghane pour avoir de meilleurs contact avec elle (ce qui peut aussi attirer les combats vers les centres urbains).
La guerre d'Afghanistan fait cependant au moins un heureux : le président géorgien Mikhaïl Saakachvili, qui a déclaré le 28 juillet au ministère de la défense de Tbilissi : "Vu la situation géopolitique de la Géorgie, Tbilissi a un intérêt direct au succès de l'opération afghane et à l'instauration d'une paix définitive (en Afghanistan, ndlr) (…). Nous devons non seulement continuer à prendre part aux opérations de l'ISAF (force internationale d'assistance et de sécurité), mais trouver un moyen d'intensifier notre participation en Afghanistan. En plus c'est une énorme école militaire", L'entraînement des soldats géorgiens en Afghanistan pourra ainsi servir à préparer d'autres guerres, en Abkhazie et en Ossétie du Sud par exemple.
F. Delorca
Albanie : cette fronde anti-Berisha dont on parle si peu
Son Parlement boycotté par l'opposition (65 députés sur 140) ne fonctionne plus depuis le 28 juin 2009. 200 sympathisants du Parti socialiste de ce pays dont plusieurs députés sont en grève de la faim depuis le 30 avril dernier pour obtenir un nouveau décompte des voix de lélection législative de 2009. Manifestations et contre-manifestations se succèdent. Ce pays c'est l'Albanie. L'Union européenne (UE) a annoncé que ce blocage risquait de compromettre la politique de libéralisation des visas avec ce pays. Pour le reste, elle demeure passive. Selon certains, les dirigeants européens miseraient ainsi sur l'épuisement progressif du Parti socialiste. Il est vrai que le premier ministre de droite Sali Berisha, accusé de fraude électorale, garde le soutien de la droite européenne : en avril dernier la Fondation Robert Shuman le recevait à Bruxelles en présence de Joseph Daul, président du Parti populaire européen. Deux mois plus tard, ce dernier se rendait à Tirana pour demander aux socialistes d'arrêter leur boycott, et se vantait d'avoir été à l'initiative d'une résolution du Parlement européen en faveur d'une politique d'assouplissement des visas.
Pourtant la politique de Sali Berisha reste des plus douteuses. Quand il prend des initiatives, il s'emploie surtout à réviser les manuels d'histoire pour salir la mémoire des résistants antifascistes et à cimenter l'unité nationale autour du souvenir de Mère Teresa (pourtant née en macédoine). Il souhaite aussi construire une centrale nucléaire en partenariat avec son ami Berlusconi, qui a proclamé récemment son goût pour les prostituées albanaises, alors pourtant que le coût de cette centrale serait égal à la moitié du PNB du pays !
En début de semaine le président Bérisha avait laissé entrevoir un signe d'assouplissement en envisageant une loi de réforme du code électoral. Mais la situation s'est à nouveau tendu le 30 juin.
L'Albanie est un des pays les plus pauvres de l'Europe avec un PNB par habitant de 2 730 dollars en 2005. Un million d'Albanais sur les 4 que comptait le pays a émigré à l'étranger au cours des quinze dernières années.
Dans le système économique albanais, les mafias spécialisées dans le trafic d’êtres humains et de la drogue jouent un rôle important surtout dans le nord du pays, à structure clanique, qui est aussi depuis 1945 traditionnellement le fief des anti-comunistes et de la droite nationaliste - alors que le Sud peuplé de travailleurs agricoles tosks était la base sociale du régime d'Enver Hodja. Bérisha lui-même est originaire des populations gheg du nord et y recrutait sa garde prétorienne dans les années 1990, du temps où il fut président de la République.
Une partie de ces mafias du Nord liées à l'UCK kosovare sont impliquées dans des affaires de trafic d'organes de civils serbes qui remontent à 1998-99 qui font l'objet d'investigations de l'ONU et du Tribunal pénal international. Les réticences de l'Albanie à coopérer avec l'ONU sur ce dossier jouent en sa défaveur aux yeux de l'UE. Mais selon le Washington Times Washington aurait continué de soutenir les albano-kosovars et leur aspiration à l'indépendance en 2008 largement par crainte des violences que ceux-ci pouvaient développer à l'encontre même de leurs protecteurs occidentaux. Le lobbying pro-kosovar des occidentaux dans les conférences internationales se poursuit en tout cas avec la participation active de l'ancien président Clinton.
Aujourd'hui Sali Berisha a beau proclamer qu'il a réprimé la mafia, l'Albanie qui a intégré l'OTAN en 2008 et entretient un contingent en Afghanistan malgré son faible budget militaire, est très loin de pouvoir envisager une intégration prochaine à l'UE, comme elle l'avait espéré pendant un temps. La poursuite de la crise politique pourrait même déboucher sur une situation insurrectionnelle comme le pays l'a connue en 1997.
Haïti : après le tremblement de terre, la recolonisation
Jérôme Brisson l'explique dans Rue89 : "Début mai, la firme américaine Monsanto, leader mondial des OGM, a annoncé un don à Haïti de 475 947 kilos de graines hybrides de maïs et de légumes. Ils seront distribués pendant douze mois aux paysans haïtiens avec l'aide d'autres multinationales (UPS et Kuehne+Nage). L'opération est soutenue par le gouvernement américain puisqu'elle s'inscrit dans le cadre du projet Winner, lancé en octobre dernier par l'Agence américaine d'aide au développement international (USAID) pour aider à construire une nouvelle infrastructure agricole en Haïti."
Les graines de maïs de Monsanto ne pouvant être resemées, les agriculteurs devront en racheter à Monsanto les années suivantes. USAID se veut rassurante en rappelant que l'aide de Monsanto ne concerne que 10 000 paysans.
Il existe cependant de sérieuses raisons de s'inquiéter : le directeur général du projet Winner n'est autre que Jean-Robert Estimé, qui fut ministre des Affaires étrangères pendant 29 ans sous la dictature des Duvalier. Il faut en outre rappeler queMonsanto s’est depuis longtemps attiré la colère des écologistes, des militants pour la santé et des petits agriculteurs ; cela remonte à sa production de l’Agent orange durant la guerre du Vietnam. L’exposition à l’Agent orange a provoqué des cancers chez un nombre considérable de vétérans US et le gouvernement vietnamien affirme que 400 000 Vietnamiens ont été tués ou handicapés par l’Agent orange et que 500 000 enfants sont nés avec des malformations congénitales à cause de leur exposition à l’agent. Via Campesina, la plus grande confédération paysanne du monde présente dans plus de 60 pays, a traité Monsanto d’un des « ennemis principaux de l’agriculture paysanne durable et de la souveraineté alimentaire pour tous les peuples. » Ils affirment que, Monsanto et d’autres multinationales, en contrôlant une part sans cesse croissante des terres et de la production agricoles, forcent les petits cultivateurs à quitter leur terre et leur métier. Ils affirment également que les géants de l’agroalimentaire contribuent au changement climatique et à d’autres désastres environnementaux, une conséquence de l’agriculture industrielle.
La société civile haïtienne se mobilise contre ce péril que le père spiritain Jean-Yves Urfié qualifie de "nouveau séisme". Le Mouvement Paysan Papaye (Mouvman Peyizan Papay- MPP) de Chavannes Jean-Baptiste s’est engagé à brûler les semences de Monsanto et a appelé à une marche de protestation contre la présence des multinationales à Haïti le 4 juin 2010, pour la journée mondiale de l’environnement.
Le risque d'invasion d'Haïti par les OGM n'est pas le seul symptôme de la recolonisation du pays. Dans une interview récente, Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation, rappelait que les programmes successifs du FMI "ont réduit les droits de douane d’Haïti de 50 % à 3 %, en privant l’État d’une des rares ressources à sa disposition. Au début des années 1980, le pays était autosuffisant en riz. Aujourd’hui, il importe 75 % de ses besoins. Le riz subventionné en provenance de l’étranger a inondé le pays, ruinant des dizaines de milliers de familles paysannes, les chassant de leurs terres vers les bidonvilles". L’accord de partenariat économique (APE) imposé par l'Union européenne en 2008 va dans le même sens (malgré la mobilisation populaire à Haïti qui n'a pu que retarder sa signature). Le gouvernement haïtien est d'autant plus faible que ses infrastructructures ont été détruites par le tremblement de terre. Ce sont les Nations-Unies qui assurent le maintien de l'ordre. Le 27 mai dernier, l'armée des Nations-Unies a dispersé une manifestation d'étudiants aux abords du palais présidentiel et les ont poursuivi sur le Champ de Mars à Port-au-Prince où sont massés des milliers de sans-logis. Au moins six personnes ont été hopsitalisées du fait de l'usage de balles en caoutchouc. Des enfants et des vieillards ont été exposés à cette répression, qui n'a guère préoccupé les grands médias internationaux. La coalition Tet Kolé appelait à manifester pour protester contre la manière dont le président Préval et l'ONU géraient les conséquence du tremblement de terre.
F. Delorca
Comores : crise dans un archipel au coeur de la géostratégie planétaire
Le président de l'Union des Comores Ahmed Abdallah Sambi a nommé dans la nuit de mardi à mercredi 26 mai un gouvernement d'intérim, à la veille de la fin théorique de son mandat présidentiel, a-t-on appris de source officielle.
La prolongation du mandat de M. Sambi a suscité la colère des habitants de Mohéli à qui revient normalement le tour d'assurer la présidence de l'Union des Comores, en vertu du principe de la présidence tournante entre les îles de Grande Comore, Anjouan et Mohéli.
Le 31 mai des membres de la communauté comorienne de France ont constitué un gouvernement d'union nationale en exil pour obtenir le départ du président Ahmed Abdallah Sambi, et en appellent à la France pour mettre fin à la crise politique de l'archipel.
Selon un communiqué, ce gouvernement en exil a été constitué à l'initiative des partis Mwashiwa et Jirma (Jeunesse Initiée et Rassemblée en Mouvement pour Anjouan), ainsi que des femmes mohéliennes de France. Composés de onze membres, tous originaires des trois îles de l’archipel (Anjouan, la Grande Comore, Mohéli), ce gouvernement en appelle à la France, « le pays mère » pour sortir de la crise politique.
Le 1er juin il était aussi question de la création d'un gouvernement dissident sur l'île de Mohéli, de sorte que l’armée comorienne a dressé mardi des barricades dans la région centre de l’île et a quadrillé les rues de Fomboni, le chef-lieu.
Le président sortant aurait pour sa part eu recours à l'aide libyenne pour sa sécurité.Selon Jeune Afrique, il pourrait aussi compter sur le soutien diplomatique de l'Iran et des monarchies du Golfe.
Des étudiants mohéliens ont quant à eux hissé le 1er juin le drapeau de l'ancien colonisateur français sur le site de l'Université de Mvuni sans qu'on connaisse la finalité véritable de cette provocation.
La France a récemment renforcé sa présence à Mayotte (île qui selon l'ONU devrait aujoud'hui faire partie des Comores) qu'elle a décidé de transformer en département d'Outre-mer en 2011. La zone présent un intérêt économique du fait de ses réserves en gaz et pétrole, mais surtout stratégiques. 1 500 militaires français y sont basés. Mayotte permet de garder sous contrôle Madagascar, Maurice, les Seychelles et les Comores et surveiller le commerce maritime qui représente 90% des échanges commerciaux intercontinentaux.
C’est à partir de la base de l’île de Diego Garcia dans l’océan indien que les Etats-Unis ont bombardé l’Irak pendant la première guerre du golfe et l’Afghanistan après l’attaque du 11 septembre. Les forces occidentales ont quadrillé les régions pétrolifères de l’Afrique. La France et les Etats-Unis, de concert, contrôlent les routes maritimes et enserre l’Asie centrale grâce à l’installation de bases militaires à Abou Dhabi, Diego Garcia, La Réunion ; Djibouti, Mayotte (voir le blog d'Eve Ressaire à ce sujet). Les Etats-Unis en 2008 avaient manifesté leur intérêt pour les Comores en y dépêchant leur secrétaire d'Etat adjoint aux affaires africaines Mme Jendayi Fraze. Ils ont d'ailleurs participé à une médiation avec la France et l'Afrique du Sud à Anjouan cette même année.
Anjouan en 1997 avait demandé à rejoindre la France. L'apparition de drapeaux français à Mohéli ces derniers jours pose la question du rôle de la France dans cette crise. La presse présente l'ancien colonisateur comme étant en retrait et laisse entendre que les initiatives pro-françaises des Mohéliens ne seraient pas provoquées de l'extérieur.
L'Union africaine a en tout cas dépêché un commissaire à la paix et la sécurité afin de favoriser une solution sans ingérence des puissances occidentales.
Israël, l'Afrique de l'Est et la bataille du Nil
Vendredi dernier (14 mai), l’Ethiopie, l’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie ont signé un accord remettant en cause le traité de partage des eaux du Nil élaboré en 1929, à l’époque de l’occupation britannique, et amendé au moment des indépendances africaines. Cet accord très favorable aux deux pays en aval attribue à l’Egypte (55 milliards de m³) et le Soudan (18 milliards) près de 90% du volume annuel du fleuve. Le traité octroie en outre au Caire un droit de veto sur tous les travaux susceptibles d’affecter son débit. En 1978, le président égyptien Anouar el-Sadate avait ainsi menacé de bombarder l’Ethiopie si les travaux d’un barrage n’étaient pas interrompus. Addis-Abeba avait cédé.
Aujourd'hui l'Ethiopie se sent davantage en position de force et prévoit de construire une quarantaine de micro-barrages. L'Egypte l'accuse d'avoir sur ce point le soutien d'Israël qui pourrait en financer quelques-uns.
En septembre 2009, le ministre des affaires étrangères israélien M. Avigdor Lieberman a rendu visite aux trois pays qui contrôlent le bassin du Nil : l'Ouganda, le Kenya (où s'était rendu le président M. Ahmadinejad quelques mois plus tôt) et l'Ethiopie. Certains analystes arabes comme Galal Nassar dans Al -Ahram estiment qu'Israël utilise les pays en amont du Nil pour mettre en péril la survie de l'Egypte dont l'agriculture dépend complètement du Nil (et en dépendra encore davantage à mesure que sa population augmente). Au Kenya, Lieberman a d'ailleurs signé un important accord sur l'eau. Le ministre qui en 1998 avait recommandé de bombarder le barrage d'Assouan pour inonder l'Egypte aurait ainsi plutôt opté pour le chantage à l'assèchement.
Israël a du reste tout autant besoin d'eau que l'Egypte. Le 8 septembre, à propos de la visite de Lieberman en Afrique, le journal français Le Figaro remarquait d'ailleurs : "En 1974, un projet envisageant la restitution de Jérusalem-Est aux Palestiniens en échange du transfert annuel de 840 millions de m³ - suffisants pour couvrir les besoins en eau d'Israël à l'époque - s'est encore heurté à l'hostilité de l'Éthiopie et du Soudan et au veto du premier ministre israélien Menahem Begin. Cinq ans plus tard, Israël a retenté sa chance après la signature du traité de paix de Camp David. Mais l'Égypte s'y est opposée, arguant qu'une telle décision requiert l'accord de tous les pays riverains. Israël a retenu la leçon. Et prépare peut-être la prochaine offensive."
En ce qui concerne l'autre grand pays arrosé par le Nil, le Soudan, son instabilité sert aussi les intérêts israéliens. Israël a mené des raids aériens au Soudan en 2009 et entretenu la sécession au Darfour et du Sud-Soudan. Dans ce pays le processus électoral du mois dernier, qui s'est déroulé dans le cadre d'un plan de paix visant à un meilleur partage des ressources, semble de plus en plus compromis, tandis que les armes affluent à nouveau, ravivant le risque de reprise de la guerre civile.
Kirghizstan : encore une révolution de couleur qui sombre ?
Le président du Kirghizstan Kourmanbek Bakiev a été renversé mercredi 7 avril à l'issue de violents affrontements entre policiers et manifestants qui ont fait 81 morts et se trouve depuis dans le sud du Kirghizstan. La chef du gouvernement par intérim, Rosa Otounbaïeva, l'accuse de fomenter une guerre civile. L'ex-président et ses proches, ont vidé les coffres de l'Etat avant de s'enfuir, forçant le gouvernement par intérim, à court d'argent, à geler le système bancaire, a indiqué un haut responsable des autorités intérimaires.
Bakiev avait été porté au pouvoir par une "révolution des tulipes" financée par les Etats-Unis. Puis l'an dernier celui-ci a tenté de faire monter les enchères entre la Russie et les Etats-Unis, promettant à la première (sous la pression de son opinion publique intérieure) un accord aérien et la fermeture de sa base aérienne étatsunienne, puis finalement acceptant le maintien de cette base après avoir obtenu que Washington en triple le louer.
C'est à l'annulation des effets de la précédente révolution de couleur qu'on a affaire, semble-t-il, puisque cette fois-ci c'est la Russie qui soutient le nouveau gouvernement par intérim, sans toutefois, il est vrai, avoir à proprement commandité, semble-t-il, ce "contre-coup d'Etat" ainsi que l'a reconnu un officiel étatsunien .
Tandis que le nouveau gouvernement kirghize envisageait à son tour de fermer la base étatsunienne (une option finalement abandonnée après un coup de fil d'Hillary Clinton), Eric McGlinchey dans le New York Times, incitait Washington à ne pas engager l'épreuve de force dans un pays qui est l' "arrière cour de la Russie". Pour beaucoup de commentateurs Washington est de plus en plus obligé à adopter une stratégie de profil bas; comme pendant la période qui a suivi la guerre du Vietnam, la base kirghyze étant essentielle dans le dispositif d'occupation de l'Afghanistan.
Les tenants et les aboutissants de la situation actuelle restent encore obscurs cependant. Le coopérant Michael Cecire, ancien volontaire du corps de maintien de la paix en Géorgie estime pour sa part que cette nouvelle révolution pourrait tout aussi bien être un coup de la CIA pour se débarrasser d'un Bakiev devenu imprévisible, d'autant que la nouvelle responsable du gouvernement a servi aussi bien sous les régimes pro-russes que pro-occidentaux.
En tout cas, le dernier président issu des révolutions colorées à ne pas avoir été renversé, le géorgien Mikheil Saakashvili, proche des néo-conservateurs étatsuniens a accusé Moscou d'être derrière le renversement de Bakiev, ce qui révèle tout de même que les pro-Occidentaux ont le sentiment d'avoir "perdu le Kyrghyzstan"...
F. Delorca