Ce blog prolonge le travail collectif "Atlas alternatif" publié par Le Temps des Cerises en 2006, conçu et coordonné par Frédéric Delorca. Il vise à fournir un regard critique sur la domination néo-coloniale des grandes entreprises, médias et Etats occide
Le brésilien Ricardo Seitenfus, diplômé de l’Institut de hautes études internationales de Genève, représentant de l'Organisation d'États Américains (OEA) à Haïti a été destitué le lundi 27 décembre pour avoir critiqué la gestion de l'Organisation de Nations Unies (ONU) dans ce pays dans le journal suisse Le Temps du 20 décembre 2010.
Seitenfus avait déclaré: "Le système de prévention des litiges dans le cadre du système onusien n’est pas adapté au contexte haïtien. Haïti n’est pas une menace internationale. Nous ne sommes pas en situation de guerre civile. Haïti n’est ni l’Irak ni l’Afghanistan. Et pourtant le Conseil de sécurité, puisqu’il manque d’alternative, a imposé des Casques bleus depuis 2004, après le départ du président Aristide. Depuis 1990, nous en sommes ici à notre huitième mission onusienne. Haïti vit, depuis 1986 et le départ de Jean-Claude Duvalier, ce que j’appelle un conflit de basse intensité. Nous sommes confrontés à des luttes pour le pouvoir entre des acteurs politiques qui ne respectent pas le jeu démocratique. Mais il me semble que Haïti, sur la scène internationale, paie essentiellement sa grande proximité avec les Etats-Unis. Haïti a été l’objet d’une attention négative de la part du système international. Il s’agissait pour l’ONU de geler le pouvoir et de transformer les Haïtiens en prisonniers de leur propre île. L’angoisse des boat people explique pour beaucoup les décisions de l’international vis-à-vis d’Haïti. On veut à tout prix qu’ils restent chez eux."
Le dipomate brésilien avait ajouté : "Aujourd’hui, l’ONU applique aveuglément le chapitre 7 de sa charte, elle déploie ses troupes pour imposer son opération de paix. On ne résout rien, on empire. On veut faire de Haïti un pays capitaliste, une plate-forme d’exportation pour le marché américain. C’est absurde. Haïti doit revenir à ce qu’il est, c’est-à-dire un pays essentiellement agricole encore fondamentalement imprégné de droit coutumier. Le pays est sans cesse décrit sous l’angle de sa violence. Mais, sans Etat, le niveau de violence n’atteint pourtant qu’une fraction de celle des pays d’Amérique latine.(...) Quand le taux de chômage atteint 80 %, il est insupportable de déployer une mission de stabilisation. Il n’y a rien à stabiliser et tout à bâtir. (..) Il faut construire des routes, élever des barrages, participer à l’organisation de l’Etat, au système judiciaire. L’ONU dit qu’elle n’a pas de mandat pour cela. Son mandat en Haïti, c’est de maintenir la paix du cimetière"
Et à propos des ONG et de l'aide internationale, on relèvera ses propos : " Il existe une relation maléfique ou perverse entre la force des ONG et la faiblesse de l’Etat haïtien. Certaines ONG n’existent qu’à cause du malheur haïtien (...) Face à l’importation massive de biens de consommation pour nourrir les sans-abri, la situation de l’agriculture haïtienne s’est encore péjorée. Le pays offre un champ libre à toutes les expériences humanitaires. Il est inacceptable du point de vue moral de considérer Haïti comme un laboratoire. La reconstruction de Haïti et la promesse que nous faisons miroiter de 11 milliards de dollars attisent les convoitises. Il semble qu’une foule de gens viennent en Haïti, non pas pour Haïti, mais pour faire des affaires. (...) Il faut aller vers la culture haïtienne, il faut aller vers le terroir. Je crois qu’il y a trop de médecins au chevet du malade et la majorité de ces médecins sont des économistes. Or, en Haïti, il faut des anthropologues, des sociologues, des historiens, des politologues et même des théologiens. Haïti est trop complexe pour des gens qui sont pressés. Les coopérants sont pressés. Personne ne prend le temps ni n’a le goût de tenter de comprendre ce que je pourrais appeler l’âme haïtienne. Les Haïtiens l’ont bien saisi, qui nous considèrent, nous la communauté internationale, comme une vache à traire. Ils veulent tirer profit de cette présence et ils le font avec une maestria extraordinaire. Si les Haïtiens nous considèrent seulement par l’argent que nous apportons, c’est parce que nous nous sommes présentés comme cela (...) Pour rester ici, et ne pas être terrassé par ce que je vois, j’ai dû me créer un certain nombre de défenses psychologiques. Je voulais rester une voix indépendante, malgré le poids de l’organisation que je représente. J’ai tenu parce que je voulais exprimer mes doutes profonds et dire au monde que cela suffit. Cela suffit de jouer avec Haïti. Le 12 janvier 2010 m’a appris qu’il existe un potentiel de solidarité extraordinaire dans le monde. Même s’il ne faut pas oublier que, dans les premiers jours, ce sont les Haïtiens tout seuls, les mains nues, qui ont tenté de sauver leurs proches. La compassion a été très importante dans l’urgence. Mais la charité ne peut pas être le moteur des relations internationales. Ce sont l’autonomie, la souveraineté, le commerce équitable, le respect d’autrui qui devraient l’être. Nous devons penser simultanément à offrir des opportunités d’exportation pour Haïti, mais aussi protéger cette agriculture familiale qui est essentielle pour le pays."
Haïti demeure toujours dans le plus grand dénuement économique et stagne dans une impasse politique. Après l'organisation d'élections présidentielles le 28 novembre dernier pour respecter les exigences de la communauté internationale malgré la destruction de son appareil d'Etat par le tremblement de terre de janvier 2010, le collège électoral a décidé de suspendre la publication du résultat du premier tour à la demande du président sortant René Préval (beau-père du candidat arrivé second... et qu'on soupçonne d'avoir bénéficié de fraudes) et de l'Organisation des Etats Américains (OEA) - cf Le Post. Préval, qui lui-même a été "réélu" en 2006 après une répartion arbitraire des bulletins blancs par l'ONU sans second tour, a rejeté la demande de l'opposition qui réclame l'annulation de la mascarade électorale de novembre et l'instauration d'un nouveau gouvernement provisoire le 7 février 2011 (date constitutionnelle) pour organiser des élections transparentes. De sérieux doutes sur la légitimité de ces élections planent depuis plusieurs mois. La commission électorale à la demande des Etats-Unis en a exclu le principal parti qui avait gagné toutes les élections précédentes, Fanmi Lavalas de JB Aristide - Mark Weisbrot dans le Guardian du 1er décembre jugeait le degré de pluralisme de ces élections comparable à celui de celles du Myanmar...
F. Delorca