La France soutient-elle la guérilla touarègue au Mali ?
Depuis le 17 janvier dernier une guerre ouverte violente oppose le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) à l'armée malienne dans le Nord de ce pays. Le MNA créé en novembre 2010 se présentait comme un mouvement souhaitant « défendre et valoriser la politique pacifique » et disait « rejeter et condamner la violenceet le terrorisme sous toutes leurs formes ». Mais en octobre 2011 avec la chute de Kadhafi, il a fusionné avec les mercenaires touaregs de l'ex-guide libyen dans un "mouvement de libération nationale" armé.
De l'avis de commentateurs comme Cheick Tandina du journal Le Prétoire, le gouvernement malien peinerait à obtenir des soutiens de ses voisins qui ont reçu comme instruction des Occidentaux de combattre en priorité Al Qaïda au Maghreb Islamique(AQMI) responsable de nombreux enlèvements.
Au Mali, on va même jusqu'à avancer que la France aurait une sympathie pour le MNLA. Sekou Kyassou Diallo, dans une contribution à Maliweb explique : "Les fondateurs du MNLA auraient contacté, par le biais de certaines hautes personnalités maliennes à Bamako, le Quai d’Orsay qui leur aurait accordé une audience. Au cours de cet entretien, ils auraient promis de pouvoir lutter contre AQMI et de faire libérer les otages français retenus dans le nord malien sans versement de rançon. Ils auraient dit au passage que les autorités de Bamako, que Paris soupçonne d’ailleurs d’être impliquées dans les prises d’otages et autres, seraient les complices de AQMI au Sahel. / Très enchanté par leurs promesses de mettre fin au désordre dans le septentrion malien, le Quai d’Orsay aurait promis de se ranger sur leurs positions pour un départ. C’est cela qui explique d’ailleurs le fait que le ministre français des affaires étrangères, Alain Juppé, a fait publiquement l’éloge des premiers « succès » de ces bandits (des atrocités qu’un ministre d’Etat commente avec plaisir !). Comme pour lancer un signal fort (expression qu’il aime) à Koulouba qu’il y a bien d’autres alternatives de lutter contre les ravisseurs d’otages et leurs complices tapis dans l’ombre. /Cela explique aussi le fait que Paris a accepté d’accueillir les rebelles sur le sol français, de leur donner la possibilité de s’exprimer dans les médias français champions de l’intox et du mensonge, et de leur permettre même de manifester."
Oumar Babi dans Le Canard Déchaîné du 13 février 2012 va dans le même sens : selon lui lorsque M. Juppé le 7 février a déclaré que « la rébellion touareg a remporté, récemment, d’importants succès militaires » et appelé à un cessez-le-feu immédiat, il a apporté "de l’eau au moulin de ceux qui pensent, mordicus, que la France n’est pas étrangère à la crise du Nord-Mali". Le Mali au moment de son indépendance a opté pour une voie socialiste non-alignée. Si dans les années 70 le régime militaire a quelque peu dévié de cette voie, depuis la démocratie une partie de la majorité gouvernementale continue de défendre cette option ce qui s'est notamment traduit en 2009 par la résistance du Mali à signer l'accord migratoire que le gouvernement de MM. Sarkozy-Fillon voulait lui imposer.
Il semble que les guérillas soient de plus en plus interpénétrées au Sahel occidental, ce qui logiquement devrait inciter la France à ne pas les soutenir (c'est d'ailleurs la position officielle du ministre de la coopération français). Le gouvernement de Bamako a fait état d’une connexion avérée entre les rebelles touaregs du MNLA et l'AQMI. Les soupçons qui pèsent concernant la collaboration entre les Touaregs et les djihadistes (que le MNLA dément) tiennent notamment à la manière dont les soldats maliens ont été exécutés par eux après la prise des villes. Le Mali accuse aussi le Front Polisario sahraoui d'être le principal vecteur du trafic de drogue et des rapts d’Occidentaux pour le compte d’Al Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi). Une activité lucrative qui est devenue indispensable pour le Polisario depuis la chute de Kadhafi, son ancien allié et fournisseur en devises.
Pour l'heure on ne trouve pas en France de soutiens importants affichés pour le MNLA. Leur responsable des droits de l'homme est journaliste à France culture et à Radio France internationale. Des mouvements régionalistes comme Corsica Libera ou certains milieux occitanistes ont proclamé leur sympathie, mais il ne semble pas y avoir de lobby réellement puissant derrière ces Touaregs maliens (de même que le soutien que leur porterait le gouvernement mauritanien - ainsi qu'à l'Aqmi - n'est pas démontré). L'évolution des prises de positions de la France à leur égard doit en tout cas être suivie en gardant à l'esprit la possibilité de convergences d'intérêt entre leurs velléités sécessionnistes et le besoin qu'a Paris de renforcer sa présence militaire au Sahel (et donc la possibilité pour la France de les utilités face à la souveraineté du Mali et du Niger).
Sans doute pour limiter les effets de contagion, le gouvernement du Niger voisin, qui a vu se mettre en place un front kadhafiste sur son territoire à la fin de l'an dernier a procédé à l'arrestation de Saadi Kadhafi, un des derniers fils vivants du guide libyen. Le refus de l'extrader vers Tripoli a valu au Niger l'expulsion humiliante de son ambassadeurs sous les huées de jeunes miliciens islamistes (cf vidéo ci-dessous). L'effet domino possible sur ce pays où sévit aussi un mouvement de libération touareg n'est pas négligeable, de même qu'au Burkina Faso.
La Libye quant à elle en ce moment est abandonnée au règne des milices. L'autorité du Conseil national de transition n'y est pas reconnue. Le 26 janvier Médecins sans frontières a dénoncé 115 cas de torture à Misrata. Le gouvernement officiel ne cesse de décevoir ses mentors occidentaux. Il y a cinq jours son ambassadeur a provoqué l'indignation à la commission des droits de l'homme de l'ONU en déclarant que les gays affectaient "la perpétuation et la reproduction du genre humain".
Une guerre des communiqués a opposé hier les pro-kadhafistes annonçant la mort de la journaliste Hala al-Misrati (cf ci-dessous) et les autorités de Tripoli qui ont démenti.
L'assemblée générale des Nations-Unies condamne la Syrie, mais Le Caire s'éloigne de Washington
Cette semaine offre aux Occidentaux une source de satisfaction et un motif d'inquiétude au Proche-Orient.
Hier l'Assemblée générale des Nations-Unies a adopté par 142 voix pour (et non 137 comme initialement annoncé soit 9 de plus que lors d'un vote similaire en décembre dernier), et 12 abstentions (au lieu de 17 annoncées initialement) une résolution condamnant la répression menée par le régime de damas. La Russie, la Chine, le Venezuela (actuellement menacé de sanctions pour avoir livré du diesel à Damas), l'Equateur, le Cambodge, la Bolivie, le Nicaragua, Cuba, l'Iran, le Zimbabwe, la Corée du Nord et la Syrie. La Chine a fait savoir qu'elle condamnait la répression et appuyait les aspirations du peuple syrien mais qu'elle souhaitait une évolution dans le respect de la loi et expliquait son vote par le refus d'une politique de "changement de régime" (regime change) dictée de l'extérieur. La Russie a dénoncé un document "non-équilibré". L'Algérie, l'Arménie, l'Angola, le Liban, la Tanzanie, le Surinam, les Fidji, le Vietnam, l'Ouganda, le Cameroun, le Népal se sont abstenus (d'après ArabSaga et sous réserve des dernières révisions de vote). Certains pays qui ont voté pour la résolution ont fait savoir que ce vote ne devait pas servir de base à une action militaire - telle fut par exemple la position de la Grenade. L'Inde, qui s'était attirée des critiques en s'abstenant sur la Syrie au comité des droits de l'homme de l'ONU en novembre, a voté pour la résolution cette fois-ci (il n'y a donc plus d'unité des BRICS sur ce dossier), de même que l'Argentine, l'Afrique du Sud et le Brésil qui pourtant défendent souvent le non alignement. Le représentant indien comme celui de la Grenade s'est cependant déclaré hostile à une ingérence extérieure. Le vote "pour " de certains pays attire l'attention : la Serbie (pourtant en délicatesse avec les Occidentaux sur le Kosovo), l'Azerbaïdjan (allié important des Occidentaux en cas de guerre contre l'iran), le Myanmar (qui scelle ainsi sa nouvelle alliance avec les USA), le Kirghizstan (pays peu démocratique mais important pour l'OTAN en Asie centrale), le Soudan, le Sri Lanka (lui aussi exposé à des ingérences sur son processus de réconciliation nationale, et qui avait été initialement compté comme abstentionniste) et même l'Irak (réputé proche de Téhéran et qui soutenait la Syrie l'an dernier).
Parallèlement le Parlement européen votait une résolution demandant le gel des relations des 27 avec Damas et l'arrêt des livraisons militaires russes à Bachar El-Assad, mais résistait aux options maximalistes comme celle de l'eurodéputée socialiste belge Véronique de Keyser qui demandait l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne comme en Libye (dispositif militaire qui avait permis le soutien des bombardiers de l'OTAN aux milices de Misrata et Benghazi).
La France a annoncé son intention de créer un fonds d'urgence humanitaire pour la Syrie doté d'un montant d'un million d'euros, après une rencontre avec des ONG impliquées dans ce pays et prépare avec la Ligue arabe dirigée par le Qatar un projet de résolution au conseil de sécurité de l'ONU impliquant la création de corridors humanitaires. La France a aussi favorisé la mise en place d'un groupe "d'amis de la Syrie" qui se réunira en Tunisie le 24 février (la Syrie a expulsé récemment l'ambassadeur de Tunisie) et se rapproche à nouveau du Royaume-Uni (après quelques semaines de tension), un rapprochement qui pourrait avoir des prolongerments militaires opérationnels en cas d'intervention directe.
Le gouvernement syrien qui continue la répression des milices armées à Homs, Hama, Deraa, a procédé à l'arrestation d'un journaliste et d'une blogueuse hier. Il a par ailleurs annoncé la tenue d'un référendum le 26 février sur une réforme constitutionnelle qui abrogera le rôle dirigeant du parti Baas dans l'Etat et dans la société et limitera le mandat présidentiel à deux septennats. Le Comité de coordination pour le changement national et démocratique (opposition de l'intérieur) a appelé au boycott du référendum.
Si les Occidentaux ont remporté un succès diplomatique à l'ONU, leur situation se complique en Egypte. Comme nous l'avions indiqué début janvier, fin décembre 17 locaux d'ONG égyptiennes et internationales de défense des droits et de promotion de la démocratie avaient été perquisitionnés au Caire. 44 personnes, dont 19 Américains (dont le fils du ministre des transports américain) et d'autres étrangers, accusées de financement illégal d'organisations non gouvernementales ont été arrêtées. Les Etats-Unis ont haussé le ton en menaçant l'Egypte de couper l'aide militaire si ces personnes n'étaient pas relâchées, mais contre toute attente, les Frères musulmans égyptiens, avec lesquels le démocrate John Kerry avait pourtant pris contact en décembre, font bloc aujourd'hui avec le conseil militaire de transition sur ce dossier. Hier 16 février, Essam El-Erian, nouveau président de la commission des affaires étrangères de la Chambre du Peuple et vice-président du Parti de la liberté et de la justice (Frères musulmans), a déclaré à une agence de presse occidentale que l'aide militaire américaine faisait partie des accords de paix de Camp David signés en 1979 avec Israël.
Les membres du Congrès des Etats-Unis de leur côté ont multiplié les menaces ces derniers jours, le représentant démocrate Gary Ackerman disant même que Washington et le Caire "étaient en train d'approcher du précipice au delà duquel nos relations bilatérales pourraient subir un dommage définitif". "Si les gens ici [aux Etats-Unis] concluent que l'Egypte n'est pas sur le chemin de la démocratie, mais qu'elle est au contraire en voie de devenir un autre Iran, nos relations bilatérales n'y survivront pas, a-t-il ajouté. Nous n'en sommes pas encore à ce point, mais nous nous en rapprochons chaque jour".
Selon un récent sondage 70 % des Egyptiens ne veulent pas de l'aide économique et militaire américaine. Mercredi un important prédicateur salafiste égyptien a demandé que l'aide américaine soit remplacée par des dons des citoyens. Le même jour Rashad Bayoumi, autre haut responsable des Frères musulmans, a déclaré que l'aide américaine étaot une "chaine qui limite la liberté " de l'Egypte, la qualifiant d' "aide humiliante" et il a critiqué l'ambassadrice américaine Anne Patterson rappelant qu'elle avait eu un passé douteux ("questionable") au Pakistan et l'accusant d'avoir été nommée en Egypte au mois d'août dernier pour y développer les mêmes méthodes. Il reprenait les accusations du prédicateur Mazhar Shaeen formulées en septembre 2011 selon lesquelles Mme Patterson aurait favorisé la "sédition" au Pakistan (en 2010 Wikileaks avait révélé les intrigues de l'ambassadrice américaine à Islamabad).
L'Egypte et le Pakistan qui sont avec l'Indonésie parmi les trois plus grandes puissances musulmanes alliées des Etats-Unis sont en ce moment en froid avec ce pays. En Egypte le débat sur l'aide américaine fait sauter un tabou. Ses conséquences sont désormais imprévisibles.
Des Républicains américains veulent faire éclater le Pakistan
Hier les membres de la sous-commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants des Etats-Unis sous la présidence du député républicain de Californie Dana Rohrabacher organisait une séance d'auditions d'une heure sur le thème des violations des droits de l'homme au Baloutchistan. Le Baloutchistan est une région largement désertique et pauvre qui couvre une partie de l'Iran, de l'Afghanistan et surtout du Pakistan face face auquel elle a organisé plusieurs rébellions depusi 60 ans.
Dans le cadre de cette audience, qui a provoqué la colère du gouvernement pakistanais, se sont explimés une universitaire, Christine Fair (plutôt pro-pakistanaise et méfiante à l'égard de l'initiative des Républicains), un responsable d'Amnesty International, T. Kumar, Ali Dayan Asan, directeur de Human Rights Watch au Pakistan, et Ralph Peter. Aucun représentant baloutche n'était convié mais on peut trouver sur le blog du journaliste Malik Siraj Akbar un historique du lobbying baloutche en Occident depuis 2006.
Dana Rohrabacher, un libertarien atypique (qui a parfois des positions provocantes comme sa dénonciation du rôle de la Géorgie dans le déclenchement de la guerre de 2008, ou sa demande à l'Irak de rembourser les frais de l'occupation militaire en 2011) est très impliqué sur le dossier pakistanais. Le 3 février, il avait déposé une proposition de loi pour attribuer la nationalité étatsunienne au docteur Shakil Afridi, le médecin qui a organisé une campagne de vaccination à Abbottabad pour permettre des prélèvements d'ADN qui ont permis aux Américains de vérifier que Ben Laden s'y trouvait et l'arrêter et qui, aujourd'hui, est menacé de procès pour haute trahison à Islamabad.Rohrabacher était portant un fervent partisan des Talibans à l'époque de Bill Clinton...
Le projet de favoriser la sécession du Baloutchistan est dans les cartons des stratèges du Pentagone depuis l'époque de George W. Bush : il avait été présenté en 2006 par le lieutenant-colonel Ralph Peter (présent à l'audition d'hier). Il a été ressorti à demi-mot le mois dernier par le représentant républicain du Texas Louie Gohmert qui a cosigné un article proposant un soutien aux Baloutches pour bloquer les fournitures d'armes aux talibans.
La porte parole du Département d'Etat (démocrate) Victoria Nuland a pris ses distances à l'égard de cette réunion et a précisé que les Etats-Unis ne souhaitaient pas l'indépendance du Baloutchistan. Mais déjà le mois dernier ce même Département d'Etat avait appelé le gouvernement pakistanais à dialoguer avec les militants balouches pour faire avancer cette question ("take the Balochistan issue forward"). Pour beaucoup le Baloutchistan est à tout le moins en train de devenir un Kosovo entre les mains des Américains pour faire pression sur Islamabad.
Après que l'OTAN ait tué 24 militaires pakistanais dans des frappes aériennes en novembre dernier, le gouvernement pakistanais avait rompu les discussions avec l'alliance militaire occidentale et bloqué son approvisionnement militaire en Afghanistan. Parallèlement Islamabad s'était engagé sur la voie de la coopération énergétique et monétaire avec l'Iran malgré la loi adoptée par le Congrès américain en décembre imposant des sanctions à toute institution financière travaillant avec l'Iran.
Les discussions avec l'OTAN ont repris hier, alors que l'administration Obama envisage de dialoguer avec les talibans qui ont ouvert un bureau au Qatar.
Une vingtaine de personnes ont été tuées cette semaine par des drones américains au Waziristan Nord (territoire pakistanais). Les victimes sont régulièrement présentées par les militaires américains comme des militants de la guérilla talibane mais aucune preuve n'est fournie.
Djibril Cissoko
Bilan d’une année de rapports de forces planétaires et perspectives pour 2012
Un an après notre tour d'horizon des enjeux géopolitiques mondiaux publiés par la revue "L'arme et la paix", voici une nouvelle analyse globale qui paraîtra dans le numéro de mars 2012 de cette revue et qui est déjà en ligne sur son site ici. Pour info aussi l'association Initiatives Citoyenneté Défense qui publie cette revue organise un débat intéressant le 17 mars - voir ici. F. Delorca
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Il y a un an j’avais effectué un tour d’horizon pour la revue "L'Arme et la Paix" des grands enjeux géopolitiques planétaires, en traçant notamment des perspectives sur la nouvelle donne que dessinaient la révolution de Tunisie, et les prémices d’Egypte et du Yémen que l’on n’appelait pas encore les « Printemps arabes ». Je soulignais en particulier à l’époque que « l’option la plus favorable à l’émancipation des pays du Sud serait l’installation en Tunisie d’un régime non-aligné, qui influencerait non seulement l’Algérie, mais aussi produirait un effet de contagion en Egypte, voire en Arabie Saoudite », tout en remarquant que l’« hégémonie idéologique des puissances occidentales, relayée par les grands médias planétaires » feraient sans doute obstacle à ces progrès du non-alignement, comme on l’avait vu dans l’unanimité que la France avait rallié derrière elle pour écraser militairement le régime de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire.
On peut comparer ce tableau du début de 2011 avec celui que nous avons sous les yeux aujourd’hui. L’année précédente s’ouvrait sur les conséquences d’un vote unanime du Conseil de sécurité de l’ONU contre Gbagbo, et sur arrière-fond de révolte populaire à Tunis. La conjoncture actuelle est marquée par une rupture du consensus – avec le double veto de la Russie et de la Chine sur le dossier Syrien – et des espoirs populaires largement frustrés dans tous les pays où le vent de révolte a soufflé.
Entre l’unanimité et les doubles-vetos s’est déployé un processus de radicalisation de tous les phénomènes : à la fois celle des aspirations très fortes au changement dans le monde arabe, avec l’effet de contagion que nous annoncions de la révolution « du jasmin » sur l’Egypte, le Golfe persique, et même le Yémen, et celle de la poursuite de la stratégie étatsunienne pour tenter de contrôler ces mouvements, voire d’en susciter de nouveaux, en jouant de la suprématie idéologique dont ils jouissent encore, ce qui a poussé les puissances émergentes (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) à durcir leurs positions.
Au chapitre de la mise sous contrôle des « printemps arabes », on peut citer tout un éventail de stratégies qui est allé de la répression militaire pure et simple au Bahrein par le biais du Conseil de coopération du Golfe, à la passation de compromis avec les partis islamistes bénéficiaires de ces révolutions en Tunisie et même en Egypte (où le sénateur démocrate John Kerry a initié ouvertement en décembre une politique de dialogue avec les Frères musulmans autrefois pourtant animés d’un très fort sentiment anti-américain et anti-israélien).
Le phénomène nouveau à partir de février 2011 a été le « coup de pouce » des puissances occidentales aux révoltes populaires dans les pays dont les régimes n’étaient pas vraiment « bien vus », c’est le moins qu’on puisse dire, par les milieux dirigeants européens et nord-américains. L’aspect le plus spectaculaire de cette stratégie s’est joué en Libye, où le régime pour le moins « atypique » du colonel Kadhafi (mi-socialisant mi-rallié aux recettes du FMI, mi-aligné sur les attentes américaines depuis sa réconciliation officielle avec Washington après l’invasion de l’Irak, mi-fidèle à ses anciens idéaux tiersmondistes au sein de l’Union africaine et dans ses liens avec le Venezuela etc), s’est trouvé confronté à une rébellion principalement basée au départ à Benghazi. Profitant du discrédit du régime libyen à l’issue de ses multiples volte-face, et de ses rodomontades contre l’opposition, le Occidentaux ont pu faire adopter sans opposition ouverte des BRICS une résolution visant à « protéger les civils », résolution censée uniquement au départ déboucher sur la création d’une zone d’exclusion aérienne mais qui finalement a pu être interprétée de façon extensive par le bombardement des troupes loyalistes et de nombreuses infrastructures (semble-t-il même civiles). Le pari était audacieux car l’engagement militaire occidental supposait une alliance de fait avec des éléments armés au départ hostiles aux Occidentaux comme les anciens combattants djihadistes d’Afghanistan et d’Irak nombreux à Tripoli et proches de la mouvance Al-Qaida. En outre il s’est heurté à la structure tribale de la Libye – les principales tribus restant fidèles au colonel Kadhafi – ainsi qu’à l’opposition historique entre Cyrénaïque et Tripoitaine laquelle, à l’exception de Misrata, fit bloc derrière le colonel Kadhafi, ce qui n’a cessé de jeter le discrédit tout au long des mois de juin et juillet sur la légitimité de l’intervention occidentale, laquelle d’ailleurs peinait à obtenir des résultats concrets.
La France et la Grand-Bretagne agissant largement comme supplétifs de la puissance américaine – surtout la première d’ailleurs – sont parvenues à sortir de l’impasse en ralliant à leur cause des groupes berbères au Sud-Ouest de Tripoli, ainsi semble-t-il que des hauts responsables de l’armée loyaliste, précipitant la prise de la capitale, puis à l’automne la liquidation physique peu glorieuse du leader libyen au prix du siège de Syrte (et de nombreux crimes de guerre dans cette ville martyr).
L’opération libyenne a permis à l’Occident d’engranger des bénéfices non négligeables : passer pour un allié « naturel » des printemps arabes (ce qu’avait déjà fait à petite échelle Obama en accélérant de fait la chute de Ben Ali à Tunis et de Moubarak au Caire), préparer des ententes avec la mouvance des Frères musulmans dans de nombreux pays, notamment en Turquie (alors que celle-ci renouant avec ses anciennes aspirations impériales s’érigeait de plus en plus en championne de la cause palestinienne face à Israël), créer un précédent applicable à d’autres pays arabes non alignés sur les positions occidentales comme la Syrie.
Au centre de cette nouvelle politique arabe occidentale se trouve désormais l’émirat du Qatar (en lieu et place d’une Arabie saoudite affaiblie) devenu apparemment si incontournable que même le candidat socialiste à l’élection présidentielle en France se sent obligé d’y dépêcher un émissaire. Les ressources pétrolières du Qatar permettent notamment de suppléer les difficultés financières de l’Occident pour armer des milices et répandre une propagande dans le monde arabe (voire dans leur diaspora, en France notamment), ce qui est cependant à double-tranchant, car le sous-traitant qatarien (comme le sous-traitant géorgien dans le Caucase) peut finir par imposer son propre agenda, et impose aussi ses exigences économiques (en termes notamment de rachat d’actifs dans le monde occidental : organes culturels, sociétés d’armement etc.).
Cette habileté et la capacité offensive de l’Occident tout au long de l’année 2011 n’a pas manqué d’inquiéter les grandes puissances, à commencer par la Russie qui, si la logique libyenne prévalait en Syrie (comme beaucoup d’organisation de défense des droits de l’homme le souhaitent), perdrait son dernier soutien militaire au Proche-Orient. La Syrie est un « bon client » pour la mise en œuvre de la stratégie occidentale. Son régime est fortement répressif, qui plus est il est allié de Téhéran, et, avec le basculement progressif de l’Irak dans la sphère iranienne, offre une profondeur stratégique à ce pays jusqu’à la Méditerranée. Son gouvernement étant dominé par une minorité proche du chiisme, Washington peut ainsi compléter sa stratégie d’alliance avec les Frères musulmans par une logique de choc des civilisations « chiites contre sunnites » (au prix au passage du sacrifice de la minorité chrétienne comme en Irak, les chrétiens syriens qui restent largement pro-Assad ne s’y sont pas trompés), reprendre pied au Liban (ou la nouvelle coalition gouvernementale reste hostile aux Occidentaux) et renforcer la pression sur l’Iran (à l’heure où Israël exige une intervention militaire pour empêcher cette puissance de se doter de l’arme nucléaire).
On a là tous les ingrédients d’une accentuation du bras de fer et d’un retour à une logique de guerre froide, la Russie et la Chine ayant bien compris qu’une stratégie de dominos Syrie-Iran viendrait à menacer directement leur intégrité territoriale, notamment en cas de conflit militaire ouvert (du fait en particulier de représailles possibles dans le Caucase et en Asie centrale).
On assiste donc à de très grands redéploiements sur tous les fronts, dans le monde musulman, mais aussi dans les autres zones. Les Etats-Unis forcés de se retirer d’Afghanistan et d’Irak massent leurs forces dans le Golfe persique, et doivent aussi se renforcer dans le Caucase s’ils veulent pouvoir attaquer l’Iran par le Nord (la Turquie ayant annoncé qu’elle refusait de servir de base pour l’OTAN dans une guerre avec Téhéran). Par ailleurs ils cherchent toujours à neutraliser la Russie, avec le dispositif anti-missiles en Europe orientale qui pourrait réduire à néant la force de dissuasion nucléaire russe, sauf si la Russie trouve des parades, dans l’espace notamment. Les Etats-Unis avancent aussi leurs pions en Asie. Obama a annoncé que la réduction des dépenses militaires n’empêcherait pas un renforcement de la présence navale au large de la Chine et une des priorités de Washington est le renforcement des liens avec l’ASEAN (les pays de l’Asie du sud-est) après le basculement de la Birmanie (qui s’ « ouvre » aux Occidentaux et aux Indiens) et la mise en œuvre d’une collaboration militaire avec américanovietnamienne, avec l’Australie (aussi offensive que le Royaume-Uni sur la scène internationale en ce moment), dans le rôle du chien de garde contre Pékin.
En complément des actions militaires, le « soft power » de la « société civile » est aussi largement mobilisé, et devient l’enjeu de luttes complexes de l’Egypte (où le gouvernement militaire de transition, avec, notons le, l’assentiment des Frères musulmans, vient d’interdire l’activité d’ONG pro-Occidentales) à la Biélorussie (où Washington vient de renforcer ses pressions). On ne sait pas toujours d’ailleurs très bien ce qui relève ou pas de la manipulation étrangère : l’attitude très offensive des libéraux en Russie après la contestation des résultats des élections législatives russes en décembre (alors que la principale force d’opposition est le Parti communiste, et qu’il est légitimement celui qui devrait occuper la première place dans la contestation) est-elle encouragée par Washington (on se souvient des déclarations incendiaires d’Hillary Clinton dès la publication des premiers résultats) ? Y a-t-il une influence occidentale dans les émeutes des ouvriers du secteur pétrochimique au Kazakhstan en décembre ?
Dans ce jeu, les rapports de force sont toujours susceptibles de basculer dans un sens ou dans l’autre. En Amérique latine l’évolution reste favorable aux intransigeants, et c’est en partie un effet « collatéral » de la guerre impériale menée en Libye qui a échaudé plus d’un dirigeant dans cette région. Chavez a vaincu son cancer, il reste populaire dans son pays, et il a pu orchestrer la mise en place d’une sorte de « contre-OEA » sans les Etats-Unis : la Communauté des Etats d’Amérique latine. Le Brésil de Dilma Rousseff en partie conforté par la cohésion des BRICS s’en tient à une ligne favorable au non-alignement. L’Argentine aussi, qui, à l’approche du trentenaire de la guerre des Malouines, a réussi à rallier tout le Mercosur dans son bras de fer pour obtenir de la Grande-Bretagne l’amorce d’une négociation en vue du partage de ressources de l’archipel. Mais on ne sait toujours pas bien quel sera le positionnement de pays officiellement « perdus » par l’oligarchie néo-libérale pro-américaine comme le Pérou (dont le président vient contre toute attente de déclarer qu’il n’était pas « de gauche ») ou des petits pays pauvres des Caraïbes attirés par le pétrole et la résistance idéologique de Chavez comme le Surinam, Haïti (sous occupation étrangère) ou la Jamaïque (en rupture de ban avec le Commonwealth). Même les plus fermes alliés du Venezuela peuvent-ils résister au risque de la destabilisation intérieure ? Le Nicaragua a passé avec succès le test de la réélection de Daniel Ortega, mais la Bolivie a dû affronter la colère de groupes indigènes plus ou moins entretenue par l’oligarchie locale et des ONG européennes. Cuba passera-t-elle le test du changement de génération à la tête de son parti communiste sans rebasculer dans l’orbite étatsunienne ?
En Afrique, la guerre de Libye a paradoxalement renforcé l’Afrique du Sud qui était hostile à l’ingérence occidentale, comme on l’a vu en janvier avec l’échec de la réélection du candidat de la France Jean Ping à la tête de l’Union africaine. Non d’ailleurs du fait que les Etats africains soient tous unanimement hostiles au principe l’ingérence – ils l’ont souvent soutenue sur le dossier ivoirien, et des pays comme le Kenya, l’Ethiopie et l’Ouganda agissent eux-mêmes directement comme sous-traitants de l’ingérence occidentale en Somalie – mais parce que le mépris de l’OTAN et des pays occidentaux à l’égard de l’Union africaine n’a été que trop visible tout au long des bombardements de la Libye.
Mais dans l’ensemble l’orientation politique du continent reste des plus indécises. Si la France a renforcé son leadership dans l’Ouest africain avec l’affaire ivoirienne, la Libye reste pour elle un point d’incertitude. Après l’éclat apparent de la victoire de l’OTAN elle doit, comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis faire face au risque de somalisation de ce pays où plus aucune force politique ne semble en mesure de s’imposer face aux autres et où elle doit pour ainsi dire supplier le « Conseil national de transition » (un CNT sous perfusion du Qatar et politiquement très faible) de ne pas instaurer tout de suite une charia intégrale qui ternirait quelque peu l’image de la victoire de la « démocratie » dans les grands médias. Tout le Sahel est déstabilisé par la prolifération des armes et des combattants en provenance de la Libye (Al Qaida Maghreb reste active de la Mauritanie au Niger et le Mali est en proie à une rébellion ouverte des Touaregs). Du côté anglophone les deux Soudan sont au bord de la guerre, les conflits religieux menacent l’intégrité du Nigéria. En Afrique centrale, l’espèce de « patriotisme modéré » qui semblait guider le gouvernement Kabila au Congo va-t-il résister à la montée des partisans de Tsishekedi (idéologiquement lié au souvenir de Mobutu) et à l’éventuelle formation d’un gouvernement d’union nationale que prônent de plus en plus ouvertement les Européens ? Au Zimbabwe l’union nationale n’a pas nui au non-alignement en raison du parrainage sud-africain mais l’issue est bien plus incertaine à Kinshasa.
En Asie, le Pakistan de plus en plus hostile aux Etats-Unis du fait notamment des exactions commises par les drones américains sur son territoire peut-il « rentrer dans le rang » après le retrait américain d’Afghanistan (notamment si les talibans reprennent le pouvoir à Kaboul ou intègrent un gouvernement d’union nationale) ? Sa situation économique peut l’y inciter si Washington trouve les moyens financiers de l’aider, mais ce pays peut aussi trouver plus de soutien auprès de la Chine.
Toute la périphérie Sud de l’ex-URSS demeure instable. Le Haut-Karabakh reste identifié par les services de renseignement occidentaux comme une zone à fort risque de conflit, l’ex-Asie centrale soviétique reste travaillée par des conflits ethniques dangereux qui peuvent aussi déborder sur le Xinjiang chinois et gagner le Tibet (tout comme le Caucase nord pour les Russes reste à la merci d’un retour à la guerre civile).
Toutes ces incertitudes sont des sources d’inquiétude légitime pour Moscou et Pékin. Mais les Occidentaux aussi ont du souci à se faire. Si les Etats-Unis ont pu provisoirement détourner l’attention de leur crise financière en la reportant sur l’Europe, l’affaiblissement de celle-ci n’est pas une très bonne affaire pour eux.
En effet, l’éclatement de la zone euro à la suite d’un effet domino parti de l’insolvabilité de la Grèce serait de nature à remettre en cause tout le projet d’unification de l’Europe occidentale qui était un pilier essentiel de la stratégie étatsunienne depuis 1945. Déjà on voit ressurgir un peu partout un ressentiment à l’égard de l’Allemagne qui a été le principal bénéficiaire de la monnaie unique européenne depuis dix ans, mais dont la prétention à régenter l’équilibre financier des pays méditerranéens en partenariat avec Goldman Sachs n’est pas particulièrement appréciée par les populations.
Du coup c’est toute la stratégie d’extension de l’Union européenne à l’Est qui est en cause. L’entrée d’une Croatie (poussée par l’Autriche) dans une Union européenne menacée d’éclatement est de ce point de vue des plus symptomatiques. Elle s’opère alors que son voisin du Nord, la Hongrie, entre dans un processus de repli sur soi nationaliste et réactionnaire qui semble illustrer le choix assez binaire qui s’offre aux pays d’Europe centrale et orientale : soumission au système oligarchique FMI-Union européenne-OTAN, ou retour aux vieux fantômes des années 30.
Mais, sur le continent européen comme ailleurs, il est très difficile de faire des pronostics. Le pouvoir des technostructures reste fort. En Hongrie le pouvoir des banques occidentales allié à l’ultimatum de la Cour de Justice de l’Union européenne parvient littéralement à étrangler économiquement le gouvernement de Budapest depuis la fin du mois de décembre. Sur le dossier moldave on a vu Berlin convaincre Moscou de lâcher le fondateur de la Transnistrie Igor Smirnov lors des dernières élections législatives, tandis que les pro-européens de Chisinau confortaient leur majorité en ralliant à leur cause des députés communistes. En Serbie, les pro-européens continuent d’ignorer les appels de la minorité serbe du Kosovo, menacée d’absorption par le gouvernement autoproclamé de Pristina, au point que beaucoup de membres de cette minorité ont choisi de prendre la nationalité russe dans l’espoir d’être mieux défendus par Moscou. Et si le gouvernement de Belgrade tente encore de reprendre l’initiative dans les négociations, et a même tenté, malgré ses liens avec Israël, de se rapprocher du Mouvement des non-alignés qu’il a accueilli à Belgrade en 2011 pour le soixantième anniversaire de sa fondation, il reste largement prisonnier du chantage à l’entrée dans l’Union européenne.
Dans ce dispositif les suites de la crise de la dette, et les rapports de forces qui sortiront du processus électoral de grands pays comme la France, la Russie et les Etats-Unis en 2012 seront aussi déterminants que l’issue des guerres et rapports de forces dans les pays du Sud. L’ampleur de la victoire de la gauche ou de celle de la droite en France (avec la part interne de chacune de leurs composantes, suivant notamment que les plus fédéralistes ou les « souverainistes » parviennent à s’imposer) aura une influence sur le maintien de l’alliance avec l’Allemagne, sur la fidélité à l’OTAN dans la confrontation avec les BRICS, sur la stratégie de domination de l’Afrique ou de partenariat avec elle, etc. Aux Etats-Unis l’aptitude d’Obama à se faire réélire et sa marge de réélection orienteront sa faculté de résistance face au bellicisme des néo-conservateurs républicains (et celui d’une grand part de son propre parti) au Congrès. En Russie les résultats des présidentielles seront aussi à suivre de près. Une large victoire de Poutine – sans fraude électorale – serait sans doute un facteur de stabilité, mais ne rend pas impossible pour autant une nouvelle alliance russo-américaine surtout si la situation dans le monde musulman redevenait défavorable aux Etats-Unis (et l’on a vu que l’alliance Washington-Frères musulmans est loin d’être complètement acquise, en Egypte notamment, que la révolte populaire couve encore ici et là, et que la réconciliation nationale palestinienne attise des ardeurs guerrières en Israël contre Gaza qui pourraient à nouveau aggraver la situation américaine dans la région). Le PC russe a récemment vu dans la signature par Vladimir Poutine d’un accord sur le transit des troupes de l’OTAN en Afghanistan par la base d’Oulianovsk un symptôme du risque de renouveau d’alliance russo-américaine (une alliance qui pourrait fonctionner aussi bien contre certains mouvements arabes que contre Téhéran ou Pékin). D’autant que Poutine est aussi susceptible de s’allier aux libéraux pro-occidentaux pour conserver son pouvoir si sa marge de victoire est trop faible. Une victoire du PC russe au second tour de l’élection présidentielle évoquée par certains sondages apparemment favorables à ce parti à l’élection présidentielle augurerait, elle, davantage d’un retour à la logique de guerre de guerre froide, mais l’hypothèse reste quand même assez peu probable.
2012 s’ouvre donc sur une plus grande incertitude que l’année précédente, une incertitude qui peut encore plus que l’année précédente favoriser chez les stratèges la tentation du « coup de poker » pour sortir de certaines impasses, et donc accentuer les risques de conflits (le plus fort risque étant concentré sur l’Iran), ce qui devrait inciter nos concitoyens à se montrer très vigilants et à maintenir la pression sur nos gouvernants dans le sens de la modération.
Frédéric Delorca
Coordinateur du Blog de l’Atlas alternatif
Auteur entre autres d’ « Abkhazie, A la découverte d’une ‘République’ de survivants » (Ed. du Cygne, 2010).
Union africaine : l'Afrique du Sud met Jean-Ping et la France en échec
Le 18e sommet de l'Union africaine (UA) s'est achèvé lundi 30 janvier 2012, à Addis-Abeba, sur un triste constat pour l'unité de ce continent. Ni le président sortant gabonais Jean Ping (69 ans) ni la Sudafricaine Nkosazana Dlamini-Zuma (63 ans) ne sont parvenus à s'imposer à la tête de l'organisation, de sorte que provisoirement le mandat du premier a été prolongé pour six mois.
L'issue du scrutin (32 voix pour Ping, 20 bulletins blancs à l'issue du quatrième tour) est négative pour l'image de l'unité africaine, mais elle marque surtout un revers pour le renouveau de la Françafrique et plus largement de l'impérialisme occidental, en Libye notamment.
Comme le souligne Thomas Yonkeu d'Afrik.com, "lors de la rébellion libyenne, l’Afrique du Sud a reproché officieusement à Jean Ping sa fébrilité et son manque de fermeté, de n’avoir pas su apaiser les tensions anti-khadafistes et plus encore, de n’avoir pas réussi à exprimer le plus clairement et fermement possible son opposition à l’intervention de l’Otan en Libye".
L'actuelle ministre sudafricaine de l’intérieur et ex-épouse du président Jacob Zuma, Nkosazana Dlamini-Zuma, quant à elle était perçue comme une partisane du fédéralisme africain, prête à renforcer la commission de l'UA comme un véritable Exécutif du continent. Outre l'Est africain anglophone (Rwanda, Tanzanie), elle semblait pouvoir aussi avant l'élection bénéficier de l'appui de l'Angola, du Congo-Kinshasa, de la Guinée équatoriale, de Sao Tome et du Cameroun. En revanche elle ne pouvait pas compter sur le Kenya ou le Rwanda. Sa candidature était indentifiée non seulement au mécontentement de l'Afrique du Sud devant la passivité de Jean Ping pendant l'agression libyenne, mais aussi au soutien de Pretoria à Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire, soutien qui a, lui, mécontenté des pays anglophones comme le Nigéria (lequel a valorisé par ailleurs positivement l'action ou l'inaction de Jean Ping en Libye).
Certains journaux africains anglophones accusent Paris d'avoir téléguidé le vote des francophones au cours des trois premiers tours tandis que l'Afrique australe faisait bloc derrière Nkosazana Dlamini-Zuma. "Le sommet s'est terminé aux première heures d'hier [30 janvier] alors que la majorité des Etats francophones continuait d'empêcher tout progrès, tandi que des rapports indiquaient qu'ils prenaient leurs instructions en Europe, en particulier de la France", notait ainsi le quotidien zimbabwéen pro-Mugabe The Herald.
Ainsi face aux pression de Paris, et malgré le retrait de Nkosazana Dlamini-Zuma au quatrième tour, l'échec final de Jean Ping à réunir les deux tiers des voix nécessaires à sa réelection peut être lu comme une victoire de Pretoria et de la vision qu'elle défendait du non-alignement africain sur les dossiers ivoirien et libyen. "Bien que leur candudate ait été deuxième et évincée de la course, les délégués de l'Afrique du Sud ont chanté et dansé quand le résultat a été annoncé, écrit le quotidien sud-africain The Daily News . Pourquoi ? Parce que, comme un d'entre eux l'a expliqué, l'objectif principal était de déloger Ping – que l'Afrique du Sud considérait comme un “pion de l'Ouest”, qui faisait acte de soumission, en particulier à la France, la vieille puissance coloniale de son pays natal".
Voilà donc que le mépris dans lequel l'ardeur interventionniste du président français a tenu les pays africains en 2011 se paye aujourd'hui d'une perte d'influence sensible de la France au sein de l'Union africaine (dont le nouveau siège à Addis Abeba a été financé gratuitement par la Chine) et le renforcement de l'Afrique du Sud comme champion de l'anti-néo-colonialisme, trois semaines après le début de la célébration du centenaire du Congrès national africain, au pouvoir à Pretoria, qui est le plus ancien mouvement de libération d'Afrique.