Les pressions occidentales sur l'Iran se répercutent dans le Caucase
Les dernières tensions irano-occidentales (assassinats ciblés de chercheurs iraniens par les service israéliens, embargo européen, australien et japonais sur les importations de pétrole, doublement du nombre des porte-avions étatsuniens au large de l'Iran, appels de John Bolton de l'Institut de l'
Le chef d'Etat major russe Nicolaï Makarov (grand spécialiste de la modernisation de l'appareil de défense russe qui avait souligné récemment les risques d'une doctrine russe trop centrée sur le nucléaire) a annoncé le 18 janvier dernier (dans une Russie où les manifestations contre les résultats des élection législatives se sont progressivement épuisées) que les exercices militaires qui ont lieu tous les ans dans le Sud de la Russie (strategic command-and-staff exercise) vont cette année prendre ne ampleur particulière mobilisant conjointement tout l'appareil de sécurité russe, civil et militaire, et auront lieu non seulement en Russie mais aussi en Abkhazie, en Ossétie du Sud et en Arménie. Comme le précise le politologue Sergueï Konovalov, "les propos du général sont appuyés par des actions concrètes. Des sources officielles du district militaire du sud signalent l'arrivée, dans les unités stationnées dans le Caucase du Nord, d'environ deux dizaines de véhicules de commandement et d'état-major modernisés (ils sont présents dans la direction de chaque bataillon d'infanterie motorisée ou de tanks), qui à titre de système de localisation et de reconnaissance utilisent le système GLONASS (GPS russe). Ce système équipe d’ailleurs tous les nouveaux hélicoptères et avions de combat (leur parc dans la région sud est renouvelé à presque 100%), qui assurent le renseignement dans la zone de responsabilité, ainsi que les systèmes d'artillerie et de DCA. Les troupes se sont elles aussi vu fournir un nouveau système de contrôle automatisé des forces de défense antiaérienne Barnaoul-T. Ce système contrôle déjà l'espace aérien non seulement de la Russie, mais aussi au-dessus de l'ensemble du Caucase du Sud. Ceci est important, car la 102e base militaire russe, stationnée en Arménie, est séparée du groupe principal de la région sud."
Les officiels russes ne cachent pas que ce déploiement de force s'inscrit en partie en prévision de scénarios d'attaque de l'Iran pour protéger les intérêts russes dans la région. Il s'agit notamment de prendre en compte le fait qu'en cas d'attaque contre l'Iran, l'Azerbaïdjan pourrait être mobilisé comme base pour l'armée américaine (puisque la Turquie refuse de jouer ce rôle), et faire l'objet à ce titre de représailles de Téhéran (sur la capacité de représailles de l'Iran en cas de guerre voir notamment Strategic Culture Foundation).
Ces manoeuvres russes sont programmées parallèlement à un vaste plan de reprise en main politique du Caucase par Moscou, plan qui s'inscrit dans le projet plus vaste de Vladimir Poutine d'Union eurasiatique (et qui s'accompagne aussi d'un volet financier, la Russie cherchant à remettre de l'ordre dans ses aides à l'Abkhazie et à l'Ossétie du Sud comme elle l'a fait en Transnistrie). Un des aspects intéressants de la politique russe envers le Caucase pourrait d'ailleurs se porter sur l'accueil des Circassiens de Syrie qui ont saisi M. Medvedev d'une demande de rapatriement au Caucase nord (mais qui laisse Moscou dubitatif à cause des problèmes de coexistence religieuse).
Mais l'annonce des manoeuvres militaires a été immédiatement interprétée par Tbilissi comme une menace contre la Géorgie (qui elle même a organisé des opérations militaires d'entraînement conjoint avec les Etats-Unis en 2011). Les relations avec la Géorgie ont déjà été passablement aggravées ces derniers mois par le projet de Saakachvili de ruiner économiquement le port de Soukhoumi et par la possible implication de Tbilissi dans le projet de bouclier antimissile américain. La Turquie a déjà mis en fonction vers mi-janvier au service de l'OTAN un radar d'alerte qui inquiète Moscou. La Russie aujourd'hui menace d'installer des missiles Iskander tournés vers le Caucase pour dissuader la Géorgie de continuer à s'armer auprès des Etats-Unis et d'Israël. D. Medvedev avait fait de même sur sa frontière occidentale en annoncé l'installation de ces mêmes missiles à Kaliningrad en réplique à l'installation du bouclier de l'OTAN en République tchèque. Les précautions de Moscou ne sont pas un luxe en ce moment. Hier l'ex-président géorgien Chevardnadze dans Gruzyia Online a explicitement accusé Mikheil Saakachvili d'être prêt à pousser à une guerre contre l'Iran pour garder son siège présidentiel, tout comme il avait provoqué la guerre contre la Russie en août 2008. Déjà le président géorgien a accepté la construction d'hôpitaux militaires sur son sol directement destinés à soigner les blessés après le déclenchement du conflit avec Téhéran. La surenchère belliciste des néo-conservateurs américains et de Mikheil Saakachvili entraînent ainsi mécaniquement le développement de la stratégie de dissuasion russe basée sur le déploiement de missiles Iskander et la mise en place de nouvelles forces d'intervention militaire.
Dans ce contexte de montée des tensions caucasiennes, le vote par le Sénat français le 23 janvier d'une nouvelle loi de censure mémorielle à la demande d'organisations arméniennes (et conformément à une promesse de M. Sarkozy faite en octobre) affaiblit les chances de la France de concourir à la paix dans la région. Outre les pertes économique chiffrées en milliards d'euros que le vote de cette loi pourrait provoquer si Ankara prenait des mesures de rétorsion économique, celui-ci compromet d'ores-et-déjà le rôle de médiation de Paris dans le conflit du Haut-Karabakh (au sein du groupe dit de Minsk). Ali Ahmedov, secrétaire exécutif du Parti de Nouvel Azerbaïdjan (YAP) au pouvoir à Bakou a déclaré à ce sujet mercredi 24 janvier : "Une loi tellement absurde et infondée montre que la France se présente ouvertement comme un défenseur de l'Arménie (…) alors qu'elle devrait garder sa neutralité en tant que coprésident du Groupe de Minsk de l'OSCE (…) La France a trahi sa mission et perdu le droit moral d'y rester". Les responsables azerbaïdjanais voient dans cette loi une atteinte à la liberté d'expression en France. A l'issue de la première adoption de cette proposition de loi en décembre par l'Assemblée nationale, le ministre azéri des affaires étrangères Elmar Mammadyarov avait estimé que si la France s'intéressait aux génocides, elle devrait aussi s'intéresser au massacre de Khojaly en février 1992 au cours duquel les forces arméniennes auraient tué entre 500 et 1000 civils azéris selon Human Rights Watch, ce que Bakou considère comme un génocide. L'initiative anti-turque de la France est mal vue en Azerbaïdjan qui partage avec Ankara le même substrat culturel. Ce matin, le Centre de la la diaspora internationale d'Azerbaïdjan et l'Organisation pour la Liberté du Karabakh manifestaient devant l'ambassade de France à Bakou pour exiger le retrait de la France du Groupe de Minsk, pour le gel de relations économiques franco-azerbaïdjanaises et pour le retrait de Total des puits de pétrole de ce pays.
Mais, paradoxalement, le vote de la loi française et ses effets sur les tensions nationalistes dans le Caucase pourraient bénéficier à la paix du peuple iranien, car, non seulement il complique les relations franco-turques et franco-azerbaïdjanaises, mais il relance aux Etats-Unis le débat sur la reconnaissance du génocide turc promise par Barack Obama. Le Comité national arménien d'Amérique (ANCA) a demandé par la voix de son directeur Aram Hamparian hier à Washington d'imiter la France en reconnaissant à son tour le génocide. Si leur demande était suivie d'effets, au moins sous la forme d'une proposition de résolution au Congrès, la position de Barack Obama - déjà enclin ces derniers temps à avancer des offres de négociation à Téhéran plutôt que de suivre les néoconservateirs - aurait en plus à gérer les effets d'une dégradation de ses rapports avec Ankara, ce qui donnerait un répit supplémentaire à l'Iran.
Malouines : l'Argentine refuse la loi du plus fort
Le Times a révélé hier le plan du gouvernement britannique pour envoyer de nouvelles troupes aux îles Malouines. Cette mesure a fait suite à la récente montée des tensions avec les pays voisins et notamment avec l'Argentine qui revendiqe l'archipel. Déjà 2 000 soldats britanniques stationnent sur l'île ( pour 2 800 habitants). Le premier ministre David Cameron à l'issue d'une réunion de son Conseil national de sécurité le 18 janvier n'avait pas hésité à accuser l'Argentine de "colonialisme" (une attaque qu'on pourrait croire humoristique quand on sait que le Royaume Uni fut la plus grande puissance coloniale de l'histoire, responsable à ce titre de crimes nombreux).
Le 20 décembre l'association de pays d'Amérique du Sud Mercosur avait manifesté sa solidarité avec l'Argentine et adopté une mesure d'interdiction des navires battants pavillon des Malouines dans les ports sud-américains (le pavillon des Malouines est un pavillon de complaisance accordé à diverses nationalités, 25 bateaux seraient concernés dont des bateaux de pêche). Les pays bolivariens comme - le Venezuela, l'Equateur, la Bolivie - mais aussi des pays d'Amérique centale comme le Panama et le Honduras ont aussi soutenu cette mesure. Le lendemain l'ancien chef d'état major de la marine britannique suggérait l'envoi d'un sous-marin nucléaire dans la région et le 17 janvier le "gouvernement autonome" des Malouines a interdit à 3 500 passagers (dont beaucoup d'Argentins) d'un paquebot entre le Chili et le Brésil de faire escale dans l'archipel au motif que certains auraient eu une gastro-antérite.
La guerre des Malouines en 1982 dont on fête bientôt le trentième anniversaire a causé la mort de 649 soldats argentins et 255 Britanniques. Les Malouines font régulièrement l'objet de débats aux Nations-Unies, en tant que territoire où le respect du droit à l'autodétermination fait problème (comme Guam, Porto Rico, le Sahara occidental etc). En 1833 le Royaume-Uni avait expulsé les Argentins de l'archipel. Il tire prétexte aujourd'hui du fait que la population des Malouines exclusivement britannique refuse les négociations pour exclure toute discussion bilatérale avec Buenos Aires (en juin dernier Cameron avait même parlé avec arrogance de "point final de l'histoire", en violation de la résolution 31/49 de l'assemblée générale des Nations-Unies du 1er décembre 1976).
Dans un discours du 20 décembre la présidente argentine Cristina Fernandez-Kirschner a donné au dossier une dimension propre à mobiliser tous les pays du Sud derrière elle en déclarant que les Malouines n'étaient pas un enjeu national argentin mais un thème "global". Elle a souligné que dans le monde actuel les pays qui ont la force iront chercher les ressources naturelles "où qu'elles soient et comme ils veulent". Contraindre Londres à négocier répond donc à un objectif de justice planétaire selon elle pour ne pas cautionner la loi du plus fort.
La Grande-Bretagne surexploite les ressources pétrolières et piscicoles de la région. Dans les années 1980-1990 l'activité de pêche organisée par le gouvernement autonome pro-britannique a profondément détrioré le milieu naturel entraînant la disparition de 90 % des pingouins. Les réserves pétrolières de l'archipel sont quant à elles évaluées à un potentiel de 3,5 millions de barils par jour (exploitées par Argos Resources, Borders and Southern, Falkland Oil & Gas Limited (FOGL), Desire Petroleum, FOGL & Hardman et Rockhopper Exploration).
Par ailleurs il convient de rappeler que les Malouines doivent recevoir 4,6 millions d'euros au titre du Fonds européen de developpement (EDF) entre 2008 et 2013, soit 232 euros par habitant d'après les calculs de la commission, environ 20 fois plus que la Polynésie française ou la Nouvelle Calédonie. Le 22 décembre le président de la chambre des députés argentine a saisi le président du parlement européen Jerzy Buzek en visite à Buenos Aires pour demander à son parlement de reconnaître l'existence d'un litige territorial entre Londres et Buenos Aires. Le but est de faire retirer les Malouines du Traité de Lisbonne qui reconnaît aux Malouines le statut de territoire d'outre-mer du Royaume Uni.
Djibril Cissoko
Haïti-Jamaïque : L'influence occidentale recule dans les Caraïbes
Les pays à fort potentiel économique comme les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ne sont pas les seuls à résister aux diktats occidentaux. C'est aussi le cas de petits pays pauvres qui bordent la mer des Caraïbes (lesquels d'ailleurs profitent indirectement de l'émancipation des BRICS).
On a cité en 2011 le rapprochement du Surinam et du Guyana avec le Venezuela. La dernière initiative remarquable dans le même registre est celle de la Jamaïque.
Le nouveau premier ministre de cette île Mme Portia Simpson-Miller, du Parti national du peuple (PNP) qui a remporté les élections du 29 décembre dernier face aux travaillistes (centre droit), a déclaré jeudi lors de sa prise de pouvoir son intention de faire sortir son pays du Commonwealth pour en faire une république, ce qui signifie que la reine d'Angleterre cessera d'en être la souveraine.
"J'aime la reine (Elizabeth II) qui est une femme excellente (…), une femme sage et remarquable (…) Mais il est temps d'achever le processus d'accession à l'indépendance", a déclaré Mme Simpson-Miller.
En France le quotidien de droite Le Figaro (le 8 janvier), qui qualifie ce premier ministre de "populiste" note que "cette volonté de rompre les liens avec l'ex-empire apparaît comme un camouflet pour les Britanniques, aux premiers jours de l'année du jubilé de diamant d'Élisabeth II". "Le sentiment républicain progresse en Jamaïque depuis plusieurs décennies, ajoute le quotidien conservateur. En 1975, la chanson de Bob Marley No Woman, no Cry était censée faire référence à la reine." Un référendum devrait prochainement entériner cette réforme constitutionnelle.
Au lendemain de sa prise de fonction le 6 janvier, la chef du gouvernement de la Jamaïque a reçu le vice-président du Conseil d'Etat cubain Esteban Lazo Hernández. L'agence de presse cubaine Granma qui relate cette nouvelle rappelle que l'ancien premier ministre Percival Patterson qui gouverna l'île de 1992 à 2006 et qui appartient au même parti que Mme Simpson-Miller était lui-même un "ami de Cuba". En 2001 il s'était prononcé contre l'exclusion de Cuba du CARICOM (organisation régionale pro-occidentale) qui frappait La Havane depuis plusieurs décennies. Sous son mandat, la Jamaïque avait intégré Petrocaribe, le projet qui permet à la Jamaïque de bénéficier du pétrole bon marché et de prêts à 1 % d'intérêt en provenance du Venezuela. Hugo Chavez a immédiatement appelé Mme Simpson-Miller après son élection pour l'inviter à Caracas. Celle-ci a répondu : "Je suis avec vous et avec le véritable esprit bolivarien" (cf AVN).
La Jamaïque bénéficie des soins attentionnés de nombreux médecins cubains : la Mission miracle, déployée gratuitement par les services médicaux cubains à travers le monde pour traiter les problèmes ophtalmologiques, a soigné 20 000 Jamaïcains, des bons offices qui sont en concurrence avec ceux des pays du Nord comme la mission floridienne Don Daly financée par la Sandals Foundation (la Fondation philanthropique de la chaîne hotelière de luxe Sandals Resorts International qui possède Air jamaica et multiplie les profits malgré la crise économique que connaît l'île).
La Chine est aussi impliquée pour aider le non-alignement jamaïcain. Le 7 janvier la premier ministre et des membres de son gouvernement ont rencontré l'ambassadeur chinois Zheng Qingdianqui pour discuter du prêt de 400 millions d'euros que Pékin va octroyer au Programme jamaïcain d'urgence pour l'emploi (PEEP).
L'élection de Mme Simpson-Miller (qui avait déjà été premier ministre en 2007) a été acquise à une très large majorité (elle détient 42 sièges sur 63 au Parlement). Dans ce pays de 2,8 millions d'habitants où la dette atteint 130 % du PIB, le premier ministre, qui est née dans un ghetto de Kingston, s'est engagée à combattre la pauvreté et créer des emplois. Elle a aussi des positions plus ouvertes que ses adversaires sur des thèmes sociétaux comme l'homosexualité (ce qui lui vaut des accusations au sein de son propre parti d'être financée par des groupes homosexuels étrangers et lui a valu une mise en garde et l'incitation du pasteur Wellesley A Blair membre du PNP dans un de ses prêches pour qu'elle préserve la souveraineté du pays à cet égard aussi).
A une autre échelle, Haïti, malgré le terrible tremblement de terre qui l'a ravagée en 2010, et malgré l'occupation militaire d'une mission de "maintien de la paix" de l'ONU depuis le renversement d'Aristide par les Français et les Américains, tient tête elle aussi aux exigences occidentales en poursuivant son projet de reconstruire un armée de métier pour se défendre.En novembre dernier, le Canada qui est devenu un auxiliaire important de l'ingérence des pays du Nord en Amérique latine (il était monté au créneau aussi après la réélection de Daniel Ortega au Nicaragua à l'automne dernier), avait fait savoir qu'il s'opposait à la recréation de cette armée en raison du coût de l'opération. Quelques jours plus tard tous les Occidentaux avaient déclaré qu'ils ne paieraient pas pour financer ce projet. même l'ancien président costaricain et prix nobel de la paix Oscar Arias avait été mobilisé pour dissuader le Président haïtien Michel Martelly de rétablir l'armée, après que celui-ci eût précisé dans une conférence de presse à la Havane (ce n'est sans doute pas un hasard) où il devait rencontrer Raul Castro, qu'il était prêt à former 500 hommes, pour un coût de 25 milions de dollars qui pourraient être prélevés sur le budget de la police. Une commission a été chargée d'examiner le projet et a rendu un rapport favorable, rendu public le 1er janvier à l'occasion du 208e anniversaire de l'indépendance du pays. Pour beaucoup d'Haïtiens le remplacement de la force de l'ONU par une armée nationale est indispensable à la dignité et à la souveraineté du pays.
Les relations d'Haïti avec le Venezuela et Cuba, comme celle de la Jamaïque avec ces deux pays, sont au beau fixe. Le Venezuela a été le premier pays (juste devant les Etats-Unis en volume) pour les promesses de don à Haïti après le tremblement de terre de 2010, les dons alimentaires en provenance de Caracas ont afflué tout au long de l'année 2010, et les installations énergétiques qui traitent le pétrole vénézuélien bon marché dans le cadre de l'accord Petrocaribe représenterait un cinquième de la consommation d'énergie électrique du pays. Des centaines de médecins cubains officient à Haïti, l'Ecole latinoaméricaine de Médecine (Elam) de Cuba a également formé quelque 700 médecins haïtiens et 300 autres sont en cours de formation dans une annexe de l'Elam à Santiago de Cuba.
Delphine Jaen
Les Etats-Unis, le Qatar et les islamistes
Le New-York Times du 3 janvier 2012 titrait "Les ouvertures aux islamistes égyptiens inversent la politique de long terme des Etats-Unis" (Overtures to Egypt's Islamists Reverse Longtime US Policy). L'article de David D. Kirpatrick et Steven Lee Myers souligne que Washington désormais s'accommode des Frères musulmans en Egypte depuis que ceux-ci se sont engagés à respecter les règles démocratiques, le libéralisme économique et les traités avec Israël, tandis qu'ils accumulent les frustrations à l'égard du régime militaire qu'ils accusent de vouloir confisquer le pouvoir.
Récemment John Kerry, ex candidat aux présidentielles face à Bush, et aujourd'hui président de la commission des affaires étrangères du Sénat et l'ambassadrice Anne W. Patterson ont rencontré trois hauts responsables du Parti de la justice et de la liberté (Frères musulmans) égyptien, Essam El-Erian, Mohamed Saad Katani et Mohamed Morsi à Washington le 10 décembre dernier. Selon l'administration Obama il s'agirait là d'une nouvelle forme de Realpolitik comme lorsque Reagan a engagé des négociations avec l'URSS sur la course aux armements. Ce renversement d'alliance s'est d'ailleurs illustré lundi dernier lorsque les Etats-Unis ont adressé un ultimatum au gouvernement militaire au sujet des perquisitions chez les ONG pro-occidentales.
En réalité le chemin pour le rapprochement avec les Frères musulmans égyptiens avait été balisé dès le mois de février par le directeur du Renseignement national (National Intelligence) James Clapper, qui, devant la Commission du renseignement de la chambre des représentants, avait présenté les Frères musulmans comme un "groupe hétérogène", "largement laïque", et qui refusait la violence.
Les convergences entre les Frères musulmans et les intérêts américains ne se limitent pas à l'Egypte puisque Washington comme les islamistes ont eu un intérêt commun au renversement du régime de Kadhafi en 2011 et des régimes relativement laïcs d'Algérie et de Syrie aujourd'hui.
Selon certains analystes, la nouvelle stratégie américaine intègrerait même une alliance ponctuelle avec des islamistes sunnites plus radicaux de la mouvance Al-Qaida, qui ont été actifs dans la guerre de Libye (avec notamment le gouverneur militaire de Tripoli Abdelhakim Belhaj et le guide spirituel cheikh Ali Al-Salibi) et aujourd'hui dans l'encadrement de l'Armée syrienne libre (selon le reportage de Daniel Iriarte dans le quotidien espagnol ABC du 17 décembre 2011, deux lieutenants d'Abdelhakim Belhaj dirigeraient cette structure).
Un opérateur de l'alliance entre les Etats-Unis et les Frères musulmans est l'émirat du Qatar. En 2011 ce pays a financé les rebelles libyens de Benghazi, fait passer la motion de la Ligue arabe pour les soutenir, fourni de la logistique depuis les talkie-walkie jusqu'aux Chevrolet SUV, puis des missiles anti-tank français Milan, entraîné des miliciens (encore aujourd'hui il existe un programme d'entraînement de soldats libyens en France financé par le Qatar), lancé une chaîne TV anti-Kadhafi Libya al-Ahrar. Le Qatar aujourd'hui exerce une influence perçue comme de plus en plus encombrante sur le gouvernement libyen (voir Time Magazine du 2 janvier), et pourtant l'émirat ne s'arrête pas là. En Algérie, il finance la chaîne de TV d'Oussama Madani, un des fils de Abassi Madani, ancien président du Front islamique du Salut. En Syrie il a fait passer la motion suspendant le gouvernement de Bachar El Assad de la Ligue arabe et aujourd'hui son premier-ministre cherche à discréditer les témoignages des observateurs de la Ligue arabe à Damas parce que ceux-ci ont relevé que le gouvernement syrien était confronté à des groupes armés. Selon le site Debkafiles du 27 décembre, le Qatar a monté de toute pièce en accord avec l'Arabie saoudite une force mobile d'intervention de 2 5000 hommes dont la moitié est composée de combattants du Groupe combattant islamique en Libye (Islamic Fighting Group in Libya-IFG) et des terroristes du Ansar al-Sunna irakien (responsable d'attentats sanglants), les a convoyés de l'Irak et de Libye jusqu'en Turquie pour suivre un entraînement militaire, et assure la logistique de leurs infrastructures de communication, avec la complicité de l'OTAN.
Le Qatar est d'aileurs de plus en plus imbriqué dans les structures militaires et civiles occidentales. Le fonds souverain qatarien Qatar Holding multiplie les prises de participation dans le capital des grandes entreprises européennes- Hochtief, Volkswagen, Iberdrola, Veolia, ou encore Vinci. Il a porté en décembre sa part d'actions de 7,6 à 10,07% dans le capital du fabricant d'armes français Lagardère (qui contrôle aussi les grands médias de l'hexagone) et lorgnerait vers EADS (voir L'Expansion du 3 janvier 2012)
Mais la nouvelle politique pro-islamiste d'Obama, qui correspond à la tradition démocrate (Jimmy Carter a aidé les islamistes en Afghanistan, Bill Clinton en Bosnie-Herzégovine) heurte les Républicains adeptes du choc des civilisations et leurs alliés en Europe et en Israël.
Divers blogs républicains ont rappelé que les Frères musulmans continuent de vouloir appliquer la charia et à ce titre ne méritent pas d'être taxés de laïques (secular). Les Républicains reprochent aussi à Hillary Clinton d'avoir reçu, du 12 au 15 décembre, à huis clos à Washington des représentants de l'Organisation de la conférence islamique (OCI) pour discuter de la mise en oeuvre la résolution 16/18 du Conseil des droits de l'homme de l'ONU relative à la lutte contre l'intolérance, la stigmatisation, la discrimination et la violence à l'encontre des personnes sur la base de leur religion ou de leur croyance. Selon eux, le vote de la résolution en mars dernier avait permis de préserver la notion de liberté d'expression, ce que risque de menacer le droit de regard que Mme Clinton accorde à l'OCI au niveau de la mise en oeuvre.
En Europe José Maria Aznar, ancien Premier ministre espagnol et allié important de George W. Bush pendant la guerre d'Irak, invité du blog de CNBCa révélé le 9 décembre 2011 qu’Abdelhakim Belhaj était un des suspects dans les attentats du 11 mars 2004 à Madrid. L'ex-ambassadeur israélien Dore Gold président du Jerusalem Center for Public Affairs a complaisamment relayé l'information dans le Jerusalem Post tout en mettant en garde le public américain contre le fait que les Frères musulmans pourraient un jour s'allier à l'Iran si elle venait à prendre le leadership du Proche-Orient, comme l'avait fait le gouvernement lié aux Frères musulmans du Soudan dans les années 1990.
L'alliance entre Obama et les Frères Musulmans (voire avec certaines tendances d'Al Qaida), dans une relation triangulaire avec les pétro-monarchies est aussi de nature à inquiéter l'Iran et ses alliés du Hezbollah libanais, car nul doute que la force mobile créée par les Qatariens si elle parvenait à s'implanter en Syrie serait aussi d'une grande utilité contre eux. La carte du choc des civilisations chrétiens/musulmans tend ainsi à se transformer dans l'esprit des stratèges en choc chiites/sunnites...
La version audio de ce billet (Radio M) :
Tensions américano-égyptiennes autour des ONG pro-occidentales
Dimanche lors d'une conférence de presse les ministres égyptiens du Plan et de la Coopération internationale Fayza Aboul Naga et de la Justice Adel Abdel Hamid Abdallah ont présenté le point de vue officiel après les protestations internationales contre les perquisitions de locaux de 17 ONG, dont trois américaines (le National Democratic Institute, l'International Republican Institute et Freedom House ) et une allemande (la fondation Konrad Adenauer). Ces associations sont accusées de ne pas avoir obtenu les autorisations nécessaires pour exercer leur activité et recevoir des financements étrangers. Les ministres ont insisté sur le fait que c'est la Justice égyptienne qui a été à l'origine de ce actions.
Le lundi 2 janvier les Etats-Unis ont sommé sans ménagement le gouvernement militaire égyptien de mettre fin aux perquisitions budgétaires et restituer aux ONG les documents confisqués. En arrière plan de cet avertissement, la campagne de certains sénateurs pour la suspension de l'aide (1,3 milliards de dollars par an) versée par les Etats-Unis depuis les accords de Camp David.
Dans le journal Al-Gomhuria le 2 janvier, le rédacteur adjoint d'Al Arabiya.net Farrag Ismail, s'indignait du manque de respect pour la souveraineté de la justice égyptienne que constituait le ton de l'avertissement lancé par le secrétaire à la Défense Leon Panetta au maréchal Mohamed Hussein Tantaoui (le numéro un du nouveau régime égyptien).
Les défenseurs des ONG eux soutiennent que celles-ci se sont bornées à faire de la surveillance électorale sans participer à la campagne et accusent la ministre Faiza Aboul Naga, qui appartenait aux gouvernements antérieurs de Moubarak, de jouer un rôle clé dans l'action anti-ONG tandis que des groupes salafistes eux-mêmes financés par l'étrager ne seraient pas inquiétés. Les attaques contre Faiza Aboul Naga ne sont toutefois pas claires. Certes celle-ci a fait parti du comité politique du Parti national démocratique présidé par Gamal Moubarak le fils du dictateur, mais cette ancienne conseillère de Boutros Ghali à l'ONU, diplomate de carrière, qui cite Arafat, Bouteflika, Mandela et Castro parmi ses modèles semble avoir une sensibilité ouverte au non-alignement, et en octobre dernier ses adversaires du Réseau arabe pour l'Information sur les droits de l'homme à l'inverse l'accusaient au contraire de vouloir "saboter la société civile" (c'est-à-dire les associations non financées par USAID) en collaboration avec l'ambassade des Etats-Unis. Quant au rôle des ONG mentionnées, il n'est pas si anodin qu'il n'y paraît. Un article du présent blog le 6 octobre dernier avait par exemple souligné l'action politique de la fondation Konrad Adenauer aux côtés d'USAID pour soutenir la Ligue pour la Défense de l'Environnement en Bolivie.
Le blogueur américain de gauche David Swanson interviewé par Russia TV commentait quant à lui en ces termes le rôle des ONG : "Nous parlons ici au sujet de beaucoup d'O.N.G.s qui ont différents ordres du jour, certaines parmi les ONG américaines ont des liens avérés avecla CIA et ont tenté d'influencer les résultats des élections dans d'autres pays." "Ce ne sont pas des groupes à travers lesquels les étrangers armés de bonnes intentions peuvent essayer d'aider le peuple de l'Egypte. C'est au peuple de l'Egypte qu'il appartient d'établir une société civile de haut niveau dans son propre pays" a-t-il conclu.
L'Egypte, actuellement engagée dans un processus électoral complexe qui devrait déboucher sur la rédaction d'une nouvelle constitution et l'élection d'un président de la République en juin, est dans une position très vulnérable à l'égard de ses mentors occidentaux alors que le pays s'enlise dans le marasme économique. En juin dernier le gouvernement militaire avait refusé une avance du FMI de 3 milliards d'euros car il ne souhaitait pas augmenter la dette du pays sans mandat populaire, mais cette ligne ne pourra pas être tenue très longtemps. La visite d'une délégation du FMI a été plusieurs fois repoussée.
Delphine Jaen