Thaïlande : le nouveau premier ministre Yingluck Shinawatra sous le contrôle de l'armée et des banques
Après que les élites aristocratiques de Thaïlande, alliées à la monarchie, aient organisé une répression sévère de la révolte populaire des Chemises rouges, c'est finalement Yingluck Shinawatra la soeur (et elle même femme d'affaires) du milliardaire chef des Chemises rouges, Thaksin Shinawatra, qui a remporté le 3 juillet dernier les élections législatives à la tête de son parti Puea Thai, grâce notamment au soutien des régions du Nord et du Nord-Est tandis que la capitale votait pour ses adversaires du Parti démocrate.
Ce résultat est en partie le fruit de négociations entre le palais royal, l'armée, et les partisans de l'ex-premier ministre en exil Thaksin Shinawatra dont des représentants se sont rencontrés au Brunei en février dernier puis à trois reprises encore notamment à Dubai, selon des sources proches du palais royal citées par Asia Times. L'idée étant de contenir le sentiment antimonarchiste grandissant qui se développait dans les franges les plus populaires des Chemises rouges et de préparer une réconciliation nationale "en douceur" incluant le retour de Thaksin Shinawatraet d'un certain nombre de ses partisans ostracisés.
Les milieux d'affaires sont pourtant restés fortement mobilisés contre le parti Puea Thai, et les banques d'investissement international ont ouvertement conseillé à leurs clients de vendre leurs avoirs thaïlandais dès que les sondages ont commencé à annoncer la possible victoire de Yingluck Shinawatra. En cause les promesses "populistes" de la dirigeante du Puea Thai. Celle-ci par exemple a promis d'offrir à huit millions d'élèves thaïlandais des iPads gratuits et de garantir un prix d'achat du riz aux paysans plus élevé que celui que leur accordait le gouvernement sortant d'Abhisit (la Thaïlande est le plus grand exportateur de riz au monde). La banque HSBC par exemple s'est ouvertement ingérée dans la politique thaïlandaise en annonçant après le résultat des élections que la politique de Yingluck Shinawatra risquait de relancer les pressions inflationnistes dans le pays. D'une façon significative, même en France, le journal Le Monde, contrôlé par les trois hommes d'affaires Bergé-Niel-Pigasse, et qui a toujours été hostile au "populisme" des Chemises rouges, mettait en exergue sur son site le 5 juillet une dépêche dressant un portrait défavorable de Yingluck Shinawatra accusée de ne pas être susceptible d'incarner correctement la cause des femmes.
Les forces armées quant à elles auraient accepté la victoire de la nouvelle premier-ministre en échange d'un engagement de sa part à ne pas interférer dans leur budget, ni la nomination de leurs officiers et de dissuader les nouveaux élus issus des Chemises rouges de tenter de faire condamner les responsables de la répression qu'ils ont subie.
La marge de manoeuvre de Yingluck Shinawatra est d'autant plus étroite que l'institution judiciaire, très proche des élites conservatrices, possède en Thaïlande un pouvoir politique très important. Elle a déjà par le passé dissout deux partis qui se réclamait de Thaksin Shinawatra et le Puea Thai n'est pas à l'abri de subir le même sort ou des députés pourraient voir leur élection invalidée par les tribunaux, comme le rappelle Shawn W Crispin dans Asia Times Online. Ceci explique sans doute que dès son élection Yingluck Shinawatra a annoncé que son parti, bien que détenteur de la majorité absolue, gouvernerait en coalition, et laisse augurer la poursuite d'une ligne assez "consensuelle" par la nouvelle élue.
Côte d'Ivoire-Niger-Libye : le nouveau maillage de la Françafrique
Mercredi 6 juillet, les rebelles libyens ont lancé une offensive vers Tripoli depuis les montagnes du Djebel Nafoussa après avoir reçu de la France un parachutage de fusils-mitrailleurs et de lance-roquettes - une nouvelle violation de la résolution 1973 de l'ONU, et un mauvais exemple que même la Grande-Bretagne a décidé de ne pas suivre, alors que l'opération militaire en Libye est depuis le début conçue par M. Sarkozy comme la première application de l'accord franco-britannique de novembre 2010.
Quelques jours auparavant, en marge du sommet de l’Union africaine en Guinée Equatoriale les 1er et 2 juillet 2011, le nouveau président de la Côte d'Ivoire, Alassane Dramane Ouattara, installé au pouvoir au terme de la liquidation du parti de Laurent Gbagbo par l'armée française, avait rencontré deux délégations libyennes (la délégation des fidèles du colonel Kadhafi avec à sa tête le nouveau chef de la diplomatie du guide libyenne et une délégation de trois membres du CNT conduite par l'ancien ministre des Affaires étrangères, Abdel Rahman Shalgam). Selon le site CameroonVoice, Ouattara aurait promis l'aide de la Côte d'Ivoire aux insurgés libyens, ce qui pourrait contribuer à insérer la Libye post-Kadhafi dans le maillage de la Françafrique rénovée.
En Côte d'Ivoire, Paris a nommé en mai dernier comme nouveau tuteur ("conseiller spécial") d'Alassane Ouattara, le colonel Marc Paitier ex-assistant du commandant de la force Licorne en 2004 et 2005. Le ministre de la défense de M. Sarkozy Gérard Longuet était à Abidjan le 27 juin pour préparer un accord militaire qui ne devrait laisser dans le pays que 250 soldats français (pour la protection des ressortissants français) conter 900 aujourd'hui, un objectif qui ne pourra être atteint toutefois que si Alassane Ouattara parvient à surmonter l'anarchie qui s'est instaurée après la disparition des forces de polices au cours de la guerre civile du premier semestre. Pour l'heure celui-ci s'emploie surtout à renverser les derniers vestiges du pouvoir de Laurent Gbagbo et notamment d'obtenir l'arrestation de l’ex-chef des "Jeunes Patriotes" gbagbistes, Charles Blé Goudé, actuellement en fuite, lequel devient aujourd'hui pour beaucoup un symbole de la résistance à l'ingérence française en Côte d'Ivoire.
Il est probable que la France en Côte d'Ivoire se déchargera d'une partie du fardeau sur l'ONU. Le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Côte d’Ivoire, Young Jin Choi, a annoncé le 30 juin à Abidjan la création de huit nouveaux camps militaires dans l’ouest du pays, la région la plus ravagée par les violences post-électorales et où persiste un déficit de sécurité. L'ONU devrait investir 2 milliards de F CFA dans la construction de ces camps et la reconstitution de la police et de la gendarmerie, un choix qui indigne ceux qui estiment que la Côte d'Ivoire a d'abord besoin d'aide humanitaire.
Alléger les effectifs militaires à Abidjan permettrait à la France de se reposer davantage sur le nouveau pilier de sa stratégie en Afrique,entre la Côte d'Ivoire et la Libye : le Niger, riche en uranium. Paris s'efforce d'imposer à ce pays un projet d’accord l’autorisant à installer une base militaire permanente notamment pour protégers a mine d'uranium d'Amouraren. Depuis l’enlèvement de sept employés du groupe nucléaire français Areva en septembre 2010, la France dispose au Niger d’un corps expéditionnaire de près de 80 soldats d’élite appuyés par des moyens aériens dont des avions de surveillance et de reconnaissance. Le président nigérien Mahamadou Issoufou du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (proche du parti socialiste français) ne cesse de répéter qu'il n'y aura pas de base permanente sur son territoire.
Elu avec une large majorité président de la République en mars 2011, cet ancien opposant à la dictature présente un profil atypique dans l'Ouest africain. A peine élu, il a précisé à propos de la guerre en Libye que son pays respecterait le principe de non ingérence dans les affaires des pays voisins. Puis au dernier sommet des chefs d'Etat africains il a souligné qu'en ce moment, son pays pâtit surtout du conflit entretenu par les Occidentaux qui coûte à l'économie nigérienne des milliards de francs CFA entre les revenus perdus sur les transactions commerciales et les mandats envoyés jadis par les plus de 200.000 Nigériens travaillant en Libye qui ont du retourner dans leur pays. Sa capacité à résister aux pressions françaises sera un test pour le nouveau dispositif françafricain fondé sur la militarisation du continent noir en vue du contrôle de ses ressources.
Népal : le gouvernement parle de socialisme, mais la transition piétine
Ram Baran Yadav, premier président du Népal depuis l'abolition de la monarchie en 2008, a présenté dimanche 3 juillet au Parlement un programme centré sur le processus de paix et l'adoption d'une nouvelle constitution. Le gouvernement dirigé par le secrétaire général du Parti communiste Jhala Nath Khanal a annoncé qu'il adoptera le socialisme comme politique économique pour garantir le développement équitable du pays, une nouvelle reprise au Venezuela via l'agence Prensa Latina.
Le président Yadav a souligné dans des déclarations transmises par l'agence de presse PTI que les programmes du Gouvernement accorderont une attention spéciale aux femmes et aux dalits (intouchables), marginalisés par le système traditionnel féodal de castes. Sur le front de la condition féminine par exemple, le ministre de l'éducation déclarait le 4 juillet que le taux d'échec scolaire des jeunes filles restait très élevé et entretenait le système du mariage forcé (50 % des Népalaises sont mariées entre 15 et 19 ans, dans toutes les religions et dans tous les milieux sociaux), ce qui nécessite un programme d'éducation ambitieux, les fonctionnaires et militants associatifs qui essaient de s'opposer aux mariages forcés faisant encore fréquemment l'objet d'attaques physiques.
Le gouvernement - qui doit faire face à une affaiblissement croissant des structures étatiques dans la phase de transition actuelle - a aussi insisté sur la nécessité de renforcer l'armée y compris dans sa participation aux missions de l'ONU (l'armée napalaise est présente sous le drapeau des Nations unies au Soudan, à Haïti, au Timor .
Ce programme "socialiste" a été critiqué par le parti du Congrès (opposition) et par les milieux d'affaire qui lui reprochent de menacer l'entreprise privée.
Par delà les déclarations ambitieuses, le Népal tarde toujours à se doter d'une nouvelle constitution et le mandat de l'assemblée constituante a été prolongé de 3 mois le 29 mai dernier au terme d'un accord entre le parti communiste, le parti communiste maoïste et le parti du Congrès. Les maoïstes défendent un système présidentiel, le Congrès un système parlementaire. Les rivalités entre les grands partis, après la légalisation de la guérilla maoïste (devenue le premier parti au parlement) se poursuivent, notamment sur les questions touchant au contrôle de la force armée : qui doit contrôler le ministère de la défense ? l'armée maoïste (20 000 hommes) doit-elle intégrer l'armée régulière avant la promulgation de la constitution ? La difficulté des négociations sur ces points contribue à entretenir le pouvoir des trois partis qui contrôlent le processus de transition mais empêche le lancement de politiques de long terme sur des bases solides.
FD
L'action militaire de la France en Libye de plus en plus critiquée.
La décision de la France révélée par le Figaro mercredi dernier de livrer des armes aux insurgés libyens de Benghazi suscite l'indignation dans le monde. Le président de la Commission de l'Union africaine, Jean Ping, a déclaré à la BBC le jeudi 30 juin que ces livraisons d'armes favorisaient "le risque d'une guerre civile, le risque d'une partition de l'Etat, le risque d'une "somalisation" du pays, le risque de prolifération des armes en lien avec le terrorisme". Le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov a qualifié cette livraison d'armes de "violation grossière de la résolution 1970 du Conseil de sécurité de l'Onu". Paris a tenté de se défendre en déclarant qu'il ne s'agit que d'armes légères, larguées à l'occasion d'opérations d'aide humanitaire en faveur de populations sous la menace des troupes de Mouammar Kadhafi dans une région située à quelques dizaines de kilomètres de Tripoli, mais ces assertions sont invérifiables pour le moment.
Par ailleurs, le nombre de morts civils depuis le 19 mars dû aux frappes aériennes de l'OTAN selon les sources gouvernementales de Tripoli approcherait le millier de morts, dont beaucoup d'enfants, un paradoxe pour une mission militaire qui se réclamait d'une résolution de l'ONU visant à "protéger les civils". Ce chiffre n"inclut pas les effets indirects désastreux de la guerre sur les infrastructures de santé (autrefois exemplaires) et les services sociaux libyens (alors qu'un soutient moins radical des Occidentaux aux insurgés aurait déjà permis le mise en oeuvre de négociations).
Le bilan humain ne prend pas en compte non plus les effets de l'utilisation possible par l'OTAN d'armes à uranium appauvri - dénoncée par des organismes britanniques comme Uranium Weapons Network et la Campagne pour le Désarmement nucléaire (on attend toujours que les députés au parlement européen, notamment écologistes, lancent une commission d'enquête sur le sujet). Un gâchis d'autant plus préoccupant qu'il n'a débouché sur aucune avancée politique concrète, le gouvernement de Muammar Kadhafi s'étant considérablement renforcé en Tripolitaine, tirant profit du réflexe patriotique provoqué par l'agression de l'OTAN.
Le 30 mai dernier, le rapport du Centre international de recherche et d’études sur le terrorisme et d’aide aux victimes du terrorisme (CIRET-AVT1) dressait déjà le bilan suivant de la décision française d'intervenir en Libye (après l'envoi d'une mission à Belghazi et Tripoli) :
"La décision unilatérale de Nicolas Sarkozy a stupéfié ses alliés allemands et italiens - c’est l’une des raisons de l’abstention de Berlin sur ce dossierà l’ONU – alors que son ministre des Affaires étrangères Alain Juppé semble avoir été placé dans une situation comparable à celle de Colin Powell en 2003, lors du déclenchement de l’invasion de l’Irak. Il a dû en effet défendre une position qu’il n’avait pas choisie età laquelle il ne semble pas avoir été associé.
(...)Les illusions du président Sarkozy ont été renforcées par les déclarations outrancières des représentants de la toute jeune révolution libyenne et l’enthousiasme – légitime – de la population de Benghazi. Les dirigeants du CNT clament que « la décision du président français a sauvé plus d’un million de vie humaines » et que c’est l’amitié entre la France et le CNT qui a permis l’évolution actuelle la survie de la rébellion.
Indéniablement, la France et son président bénéficient d’une cote d’amour inégalée sinon inégalable dans toute la Cyrénaïque. La délégation, composée en majorité de Français, a reçu en tous lieux un accueil très favorable. Les drapeaux français sont arborés partout et sont même vendus dans les kiosques. A Derna, nos interlocuteurs nous ont déclaré avoir déjà noté une nette augmentation des demandes d’inscriptio nà l’université en faculté de français, surtout de la part des femmes.
Il convient de reconnaître que le nom du président français n’aura sans doute jamais été aussi prononcé dans un pays étranger. S’il est encensé à l’Est, il est honn ià l’Ouest, mais tout aussi présent dans les attroupements populaires et les médias, comme si la France seule était responsable de la situation aux yeux des deux parties. Les Libyens fidèles au régime font toutefois une nette différence entre le peuple français et son président.
Cette hypermédiatisation de la participation française est particulièrement trompeuse et dangereuse. Certes, certains contrats secrets ont déjà été conclus avec les insurgés, mais rien n’assure aujourd’hui que le pari du président Sarkozy de renverser le régime sera tenu. En cas de maintien au pouvoir de Kadhafi, les entreprises françaises se retrouveront dans une position extrêmement défavorable. En cas de partition du pays ou de négociation entre les parties, la France ne pourra jouer aucun rôle d’arbitre tant le ressentiment à l’égard de son président est fort à Tripoli.
Nous sommes convaincus que cet engagement irréfléchi de Paris dans le conflit libyen fait le jeu de Washington, qui laisse Nicolas Sarkozy s’afficher en moteur de la coalition, au risque, en cas d’échec, d’endosser toute la responsabilité de cette affaire. L’attitude plus discrète du président Obama permettra alors aux Etats-Unis de tirer les marrons du feu."
Le rapport évoquait aussi le coût financier élevé de cette guerre et les bénéfices que les organisations terroristes comme Al Qaïda étaient susceptibles d'en retirer.
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Ci dessous interview par Russia Today de Vijay Prashad, contributeur du livre "Atlas alternatif", sur la Libye (il évoque notamment la propagande de guerre autour des soi-disants viols collectifs et de la distribution de viagra dans l'armée gouvernementale libyenne)