L'intervention occidentale en Libye en passe de provoquer une "somalisation" du pays
Trois semaines de bombardements par les avions de combat britanniques, français et étatsuniens n'ont pour l'heure réussi qu'à instaurer une partition de fait entre une Tripolitaine (où les civils sont désormais armés) qui fait bloc derrière le colonel Kadhafi et une Cyrénaïque où les insurgés peu aguerris n'ont pas pu remporter de succès militaires décisifs, malgré le soutien aérien occidental.
Officiellement les bombardiers étatsuniens ne participent plus aux actions directes sur la Libye depuis le 4 avril date du transfert du commandement à l'OTAN, mais ce retrait officiel ne serait en fait que partiel. Il laisse en tout cas sur le terrain une pénurie de bombardiers que la France voudrait combler en demandant aux 22 des 28 membres de l'OTAN hostiles à toute participation militaire de s'impliquer davantage.
Devant l'impasse militaire, les responsables états-uniens ne cachent plus leur crainte que la Libye devienne un "failed state", un "Etat manqué" à la somalienne, où s'infiltreront les extrémistes de tous bords. Déjà un millier de djihadistes auraient été recensés dans les rangs des insurgés de Benghazi soutenus par les Occidentaux selon un islamiste repenti Noman Benotman. L'amiral James G. Stavridis a confirmé leur présence devant le congrès des Eatts-Unis et le secrétaire général de l'OTAN Anders Fogh Rasmussen reconnaît qu'Al Qaida pourrait s'y renforcer encore davantage.
Foreign Policy et le Fund for Peace qui classent les pays suivant leur degré de stabilité viennent d'ajouter la Libye dans la liste des pays "à la limite" de l'instabilité durable - au même titre que le Mexique et l'Ukraine.
La guerre occidentale en Libye qui viole la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU votée uniquement dans le but de protéger les civils, est de plus en plus impopulaire dans le monde. Les cinq pays émergents du Brics (Brésil, Russie, Chine, Inde, Afrique du Sud) qui représentent plus de 40% de la population et 18% du PIB de la planète, réunis à Sanya en Chine, se sont prononcés aujourd'hui contre l'usage de la force en Libye. Dans les pays voisins de la Libye, l'opinion publique en Algérie et en Tunisie est hostile à l'opération militaire de l'OTAN.
Sur le terrain les conséquences de la guerre sont désastreuses. Alors que la Libye est le pays le plus riche d'Afrique du Nord, plus de la moitié de la population (3,5 millions d'habitants) pourrait nécessiter une aide humanitaire, et 500 000 personnes ont déjà fui le pays. Les Occidentaux accusent les forces de Kadhafi de tirer sur les populations civiles à Misrata qui est sur la ligne de front depuis plusieurs jours. Réciproquement il y a quinze jours une déclaration du porte parole du ministère russe des affaires étrangères Alexandre Loukachevitch mettait en cause des frappes effectuées par les Occidentaux sur des sites non-militaires à Tripoli, Tarhuna, Maâmura et pointait la mort de 48 civils (150 blessés), la destruction partielle d'un centre cardiologique, de routes et de ponts. Le bilan des pertes civiles reste opaque. Le gouvernement libyen en dénombre une centaine depuis le début des opérations, un chiffre vraisemblable et peut-être même sousestimé compte tenu du fait que les forces loyalistes sont disséminées dans les villes contrôlées par le gouvernement.
Au delà de ces effets immédiats, la guerre pourrait aussi générer une catastrophe à moyen terme dans l'ensemble de l'Afrique du Nord-Ouest. Selon le quotidien algérien El Watan, des centaines de jeunes Touaregs du Mali et d'Algérie se sont rendus ces derniers temps à Tripoli pour défendre le régime du colonel Kadhafi, attirés par la perspective d'avoir de l'argent et des armes. Parallèlement aux forces d'Al Qaida Maghreb venues soutenir les insurgés de Benghazi, ils sont un facteur préoccupant de dissémination du conflit dans tout le Sahara à moyen terme.
Les chances de trouver une sortie décente au bourbier libyen restent cependant minces,le Conseil national de transition de Benghazi posant toujours comme préalable à la paix la démission de Kadhafi.
Gbagbo arrêté, répression sanglante contre ses partisans
En décembre nous avions expliqué en quoi les atermoiements de la commission électorale ivoirienne, dans un contexte où celle-ci subissait de fortes pressions françaises, et tandis que les irrégularités importantes entâchaient le vote dans les deux camps il était devenu impossible de savoir lequel des deux candidats à l'élection présidentielle avait remporté le scrutin.
Cela n'a pas empêché les puissances occidentales de faire valider par l'ONU, malgré les réticences russes, l'élection de leur protégé, M. Ouattara, et d'assurer sa défense militaire à l'hôtel du Golf d'Abidjan.
Les supporters de Laurent Gbagbo dont les ressources fiscales ont été sensiblement réduites par le boycott international, notamment celui du FMI n'ont dans un premier temps guère opposé de résistance aux Forces républicaines d'Allassane Ouattara, armées par les Occidentaux, qui sont passées à l'offensive le 28 mars dernier.
Le 30 mars, la France a fait adopter au Conseil de sécurité de l'ONU une résolution 1975 autorisant la force de maintien de la paix Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) à utiliser « tous les moyens nécessaires pour mettre en œuvre son mandat de protéger les civils (…) y compris pour prévenir l’usage d’armes lourdes »
Cette résolution, comme son équivalent n°1973 en Libye, a été rapidement détournée pour cautionner l'implication des forces françaises de l'opération Licorne, spécialement à Abidjan lorsque les forces de M. Gbagbo ont pu se reconstituer et offrir une résistance efficace. La bataille d'Abidjan au cours de laquelle l'armée française n'a pas hésité à bombarder les sites stratégiques des forces de Gbagbo, a duré douze jours à partir du 31 mars 2011, et s'est soldée le 12 avril au soir par la capture de Laurent Gbago dans son palais présidentiel le 13 avril 2011 par les forces spéciales françaises ou du moins avec leur concours.
L'opération de conquête militaire menée par les forces pro-occidentales d'Alassane Ouattara a été émaillée de massacres de masse face auxquels la cour pénal internationale - qui était intervenue à propos de Kadhafi alors que la Libye est étrangère à sa juridiction - est demeurée étrangement silencieuse. Human Rights Watch a notamment dévoilé le massacre de plusieurs centaines de membres de l'ethnie Guéré, favorable à Laurent Gbagbo dans la région de Douékoué entre le 6 et le 30 mars, notamment à Bloléquin le jour du passage à l'offensive de l'armée de Ouattara. Les villages de Didier Drogba, de Charles Blé Goudé et du Président Gbagbo ont été pillés et incendiés par les rebelles.
La prise du palais présidentiel après l'arrestation de L. Gbagbo a aussi été le théâtre d'atrocités. Le ministre de l'intérieur Désiré Trago a été assassiné, la liste des responsables tués ou grièvement blessés est ici. Plus d'une centaine de personnes, dignitaires du gouvernement et leur famille ont été arrêtés.Les partisans de l'ex-président mettent notamment en avant le viol collectif de l'épouse du président, et l'élimination systématique depuis deux jours des partisans de l'ex-président à Abidjan (notamment dans les quartiers de Yopougon et Koumassi) et des étés (de l'ethnie de Gbagbo) sans que l'ONUCI ne s'interpose.
Le détournement de la résolution 1975 par la France a fait l'objet de nombreuses condamnations. Le ministre des affaires étrangères russe, Sergei Lavrov, a accusé l'ONU d'outrepasser son mandat en Côte d'Ivoire.L'Union africaine a également dénoncé sans appel l'ingérence néo-coloniale française.
Au Kazakhstan, un ami des Occidentaux réélu avec 95% des voix
Le président kazakh, Noursoultan Nazarbaïev, a été réélu à la tête de son pays le 3 avril dernier avec 95,55% des voix. Ce score "soviétique" n'a pas déclenché de vague de critiques telles que celles qui pleuvent sur la Russie ou la Biélorussie après chaque scrutin.
Malgré le rapport de l'OSCE indiquant que les élections n'avaient pas été démocratiques, Catherine Ashton, la chef de la diplomatie de l’Union européenne, a au contraire félicité «le peuple du Kazakhstan pour avoir exercé ses droits démocratiques à l'élection présidentielle».
Les Etats-Unis pour leur part ont pris acte de ce rapport mais manifesté dans la foulée par la voix de leur ambassadrice leur impatience "de continuer à travailler avec [le président Nazarbaïev] et le peuple kazakh afin de réaliser notre vaste partenariat stratégique". Le gouvernement kazakh, très aimable avec les Etats-Unis, a envoyé un contingent pour occuper l'Irak et facilité l'approvisionnement des troupes étatsuniennes en Afghanistan, et ce malgré son appartenance à l’Organisation du Traité de sécurité collective créée par la Russie pour répondre au refus de coopération de l'OTAN avec Moscou.
Le Kazakhstan, pays le plus riche d'Asie centrale, possède 3 % des réserves mondiales prouvées de pétrole, et 1,7 % des réserves de gaz (comparable à la Libye et au Nigéria), 15 % de l'uranium juste derrière l'Australie et devant le Niger.
En complément de la coopération stratégique entre Astana et Washington, et dans l'espoir d'avoir sa part du gâteau des ressources du pays, la France pro-américaine de M. Sarkozy a signé, le 6 octobre 2009, un accord de coopération militaire avec la République du Kazakhstan. Un des effets de la visite du président français au Kazakhstan pourrait avoir été d'accélérer la décision de ce pays, qui compte pourtant beaucoup de vétérans de l'Armée rouge écoeurés par le souvenir de l'intervention militaire de 1979, d'envoyer une brigade (Kazbrig) en Afghanistan. Pour l'heure cette brigade est seulement en cours de formation et, compte tenu des traités de sécurité qui unissent Astana à Moscou, son équipement militaire par les Occidentaux pourrait surtout bénéficier indirectement à la Russie. Mais la collaboration avec l'Occident reste une pierre de touche de la politique extérieure kazakhe comme l'a rappelé le ministre des affaires étrangères Kanat Saudabayev en visite aux Etats-Unis en janvier dernier. Il a rencontré à cette occasion des membres du Congrès, des hommes d'affaire américains, et la secrétaire d'Etat Hillary Clinton... dont la famille entretient des échanges économiques profitables avec la République du Kazakhastan depuis plusieurs années...
F. Delorca