Le risque de perdre le pétrole libyen ravive l'interventionnisme des Occidentaux
Le 25 février l'OTAN s'est réuni pour préparer une zone d'exclusion aérienne au dessus du territoire libyen semblable à celle qui fut imposée à l'Irak dans les années 1990 (une suggestion de la France et de la Grande Bretagne). Cette option a été ensuite soumise au conseil de sécurité de l'ONU. Le même jour Ian Birrel dans le journal de gauche britannique le Guardian recommandait une invasion militaire directe. Aux Etats-Unis les anciens partisans de l'invasion de l'Irak John McCain et le Joe Lieberman ont plaidé pour la reconnaissance d'un gouvernement libyen d'opposition et son armement lourd par Washington. Une autre option est de faire intervenir militairement la Tunisie ou l'Egypte, mais les exactions provoquées par l'intervention de l'Ethiopie en Somalie pour le compte des Etats-Unis et le risque de remobilisation patriotique derrière Kadhafi contre l'ingérence extérieur font hésiter les analystes. L'intervention militaire directe ou indirecte reste cependant sur la table, et Washington a pris des contacts dans ce sens avec ses alliés. Londres envisage quant à elle d'envoyer des forces spéciales, officiellement pour venir en aide à ses ressortissants mais les autres pays comme la Chine évacuent leurs ressortissants sans présence militaire.
Les velléités interventionnistes occidentales ont été accélérées au cours des derniers jours par la décision du colonel Kadhafi révélée dans Time par un ancien agent de la CIA (mais l'information est-elle fiable ?) le 23 février de saboter les puits de pétrole de Libye. Les importations du pétrole libyen couvrent 51% des besoins de l’Italie, 13% de l’Allemagne et 5% de la France. Le risque de perdre le pétrole libyen a fait flamber les cours aux alentours de cent dollars le baril sur les places boursières internationales (un record depuis 2008).
Par ailleurs selon l'analyste russe Grigori Melamedov, la crainte d'un exode massif de réfugiés libyens et l'annonce par le vice-ministre libyen des Affaires étrangères Khaled Kaïm de la proclamation par Al-Qaïda d'un émirat islamique dans la ville de Derna dans l’Est de la Libye aurait aussi précipité l'ardeur des Occidentaux (et rallié aussi l'Iran au souhait de voir Kadhafi renversé, Téhéran étant inquiet du risque de la montée d'Al Qaida en Afrique du Nord).
Le représentant de la Russie dans le cadre d'une réunion du Conseil des Droits de l'Homme de l'ONU à Genève a clairement refusé toute ingérence étrangère en Libye, de même que le gouvernement vénézuélien et les gouvernements cubain et nicaraguayen.
F. Delorca
PS : Pour un éclairage sur les zones d'exclusion aérienne voyez l'article très intéressant du contributeur de l'Atlas alternatif Karim Lakjaa ici.
Y a-t-il une ingérence occidentale derrière la révolution en Libye ?
Dans un billet daté d'hier très diffusé dans la gauche latino-américaine l'ex-dirigeant Fidel Castro accusait l'OTAN de préparer une invasion de la Libye. De même le ministre des affaires étrangères vénézuélien Nicolás Maduro a formulé des voeux pour que le peuple libyen parvienne à surmonter la crise actuelle pacifiquement "sans l'ingérence de l'impérialisme dont les intérêts dans la région se sont trouvés affectés ces derniers temps". Il a par ailleurs condamné l'irresponsabilité du ministre des affaires étrangères britannique William Hague qui a fait courir le bruit que le colonel Kadhafi s'était réfugié au Vénézuela.
La Libye est un allié du Venezuela (Hugo Chavez a remis à Mouamar Kadhafi récemment l'épe du Libérateur Bolivar) mais entretient aussi de bonnes relations avec l'Italie et la France (elle s'était même rapprochée ostensiblement des Etats-Unis après l'invasion de l'Irak en renonçant à son programme de production d'armes de destruction massive, avant de se déclarer déçue du fait que ce rapprochement n'ait pas permis une complète normalisation des rapports entre les deux pays).
A l'heure où la répression contre l'insurrection a fait plus de 250 morts, faut-il penser que la révolution libyenne est un mouvement spontané dès son origine comme en Tunisie et en Egypte (les Etats-Unis n'ayant soutenu la chute des dictateurs que lorsque l'insurrection avait déjà pris une certaine ampleur) ou s'agit-il d'une action très soutenue par les Occidentaux et destinée à "compenser" leur possible perte de contrôle sur l'Egypte - au cas où le pouvoir militaire qui a renversé Moubarak devait céder ?
Certains éléments d'ingérence occidentale sont visibles en ce qui concerne la Libye qui ne se sont pas trouvés en Egypte.
Ainsi, le fait que le 21 février le secrétaire général de l'OTAN Anders Fogh Rasmussen ait lui-même pris l'initiative de condamner la violence de la répression alors que sur l'Egypte et la Tunisie l'OTAN était restée muette. C'est cette déclaration qui fait redouter à Fidel Castro l'existence d'un plan d'occupation militaire du pays. De même le fait que le conseil de sécurité des Nations Unies qui ne s'était pas réuni à propos de l'Egypte, soit saisi, selon Al Jazeera à la demande du représentant libyen à l'ONU lui-même, Ibrahim Dabbashi, qui s'est rallié aux manifestants.
Le moins que l'on puisse dire est que Washington, qui s'était montré hésitant pendant plusieurs semaines à l'égard de Moubarak avant de donner un coup de pouce au coup d'Etat militaire contre lui, a les coudées plus franches sur le dossier libyen.
Les ingérences proviennent aussi de divers pays musulmans. Le premier ministre du Qatar (pays qui héberge Al Jazeera) a saisi la Ligue arabe. La Turquie et l'Iran ont appelé le gouvernement libyen à mettre fin à la répression.En Egypte, le prédicateur membre des frères musulmans cheikh Yousouf al-Qaradawi n'a pas hésité, toujours sur Al Jazeera (en pointe dans le combat anti-Kadhafi), à lancer une fatwa appelant tout militaire libyen à tuer Mouammar Kadhafi.
Un des fils de Mouammar Kadhafi, Seif Al-Islam Kadhafi, que la presse occidentale présente comme un "réformiste", conscient du degré de corruption du régime, quoiqu'attaché aux idéaux socialistes du "Livre vert" de son père, a affirmé le 21 février que les partisans du colonel Kadhafi étaient confrontés à un plan de destabilisation provoqué par des éléments libyens et étrangers visant à détruire l'unité du pays et instaurer une république islamiste. Il a souligné que son père n'était pas un dictateur prêt à quitter le pays avec le butin de l'argent volé au peuple comme les présidents tunisien et libyen, mais qu'il resterait jusqu'au bout et que l'affrontement déboucherait sur une guerre civile meurtrière "comme en 1936".
D'importants diplomates libyens qui ont lâché le régime de Kadhafi ont accusé celui-ci d'employer des mercenaires pour réprimer les manifestants (ce que le sous-secrétaire au ministre des affaires étrangères Khaled Al Gaeem a démenti avec véhémence), et la chaîne de télévision Al Jazeera a fait état du bombardement par l'armée des populations de Tripoli et Bengazi (d'où sont partis les troubles le 15 février), alors que le gouvernement a évoqué le bombardement de dépôts d'armes. Après l'incendie de nombreux batiments publics, la police se serait retirée de nombreuses villes. Mais les informations sont difficilement vérifiables les journalistes n'étant pas autorisés à se rendre dans le pays.
Bahrein : vent de révolution aux abords de la base de la 5ème flotte US
Alors que les mouvements populaires démocratiques se multiplient dans le monde musulman (mais sans toucher pour autant tous les pays), les grands médias français et occidentaux mettent surtout l'accent sur le cas de la Libye où la répression aurait fait plus d'une cinquantaine de morts (loin encore de 200 morts de la répression en Egypte).
La version électronique du Monde ce matin faisait sa "Une" sur ce pays et les 6 morts d'affrontements au Yémen.
Il fallait cliquer pour apprendre plus loin ce qu'il se passait au Bahrein, à propos duquel le journal expliquait : "La journée de vendredi, consacrée aux obsèques de quatre chiites tués la veille dans un raid des forces de sécurité, a tourné au bain de sang. L'armée a tiré sur un millier de personnes qui voulaient reprendre un sit-in à Manama. Au moins 26 blessés ont été hospitalisés, dont un "en état de mort clinique" selon un député d'opposition."
Sur cette page le journal développait aussi des nouvelles sur l'agitationen Irak, à Djibouti, en Iran, au Koweit.
Le Figaro et Libération titraient aussi sur la Libye avec une mention plus modeste du Yémen et du Bahrein alors pourtant qu'Al Jazeera en anglais dès le début de la matinée citait un médecin de l'hôpital de Manama qui expliquait que les services étaient remplis de blessés et que l'armée de ce pays visait le manifestants à la tête. Les nouvelles du Bahrein n'ont fini par prendre place dans l'actualité française que lorsque le bilan de la répression de la nuit du 18 au 19 février a été diffusé par les agences.
La situation au Bahein est la mauvaise nouvelle qui vient compenser la bonne que serait pour les Occidentaux la chute du régime imprévisible du colonel Kadhafi. Cet émirat à majorité chiite mais dirigé par des sunnites est en effet une base importante de la 5ème flotte militaire des Etats-Unis d'Amérique. Ceux-ci ont appelé à la retenue dans le déploiement de la force, mais sont en réalité bien embarrassés par cette révolte. Car, si en Tunisie et en Egypte l'armée a pu préparer le chemin d'une transition politique, au Bahrein elle peut difficilement présenter la moindre option alternative puisqu'elle est dirigée par des officiers sunnites qui ne peuvent que perdre leur poste si la majorité chiite actuellement marginalisée venait à obtenir plus de droits. En outre une victoire des chiites au Bahrein pourrait encourager la minorité chiite d'Arabie Saoudite à faire valoir aussi ses droits.
L'impasse politique du Bahrein pourrait déboucher, selon une dépêche d'agence diffusée ce samedi sur une intervention militaire des Etat du Golfe persique. Les six ministres des affaires étrangères du Conseil de coopération du Golfe (qui couvre 45 % des réserves pétrolières mondiales) ont renouvelé leur soutien au régime de Manama.
Depuis 2008 le gouvernement du Bahrein attribue les revendications des chiites à une manipulation iranienne, mais celle-ci a été démentie notamment par les cables diplomatiques étatsuniens révélés par Wikileaks.
Malgré la brutalité de la répression de la nuit, les manifestants avaient repris la place Pearl à 13 h et les principaux syndicats ont appelé à une grève générale dimanche. La dynastie des Al Khalifa qui dirige le Bahrein peut-elle basculer ou Washington imposera-t-il un compromis politique qui préserve ses intérêts dans le Golfe ?
A l'heure où Obama vient d'opposer une fois de plus son véto au projet de vote par le conseil de sécurité d'une résolution qui condamne la colonisation des territoires palestiniens, au risque de mécontenter à nouveau ses alliés arabes, il lui faut absolument juguler toute source d'instabilité dans les monachies pétrolières.
Le Mexique entre narco-trafic et ingérences des pays du Nord
Le Mexique fait actuellement l'objet d'une campagne d'ingérence judiciaire tous azimuts.
La France tout d'abord a entrepris une campagne médiatique contre le gouvernement mexicain autour de la condamnation de Mme Florence Cassez à 96 ans de prison en 2008 (commuée à 60 ans en 2009).
Patronne d'une boutique de Calais, cette femme a eu une liaison avec Israel Vallarta, plusieurs fois condamné, qui a reconnu un meurtre et dix enlèvements. La police mexicaine le soupçonne d'être le chef d'une bande de kidnappeurs. Florence Cassez nie avoir eu connaissance de ces activités criminelles, et dit avoir toujours cru que Vallarta était un vendeur de voiture. Elle a été arrêtée en 2005 dans le cadre d'une mise en scène que la France impute au contexte pré-électoral de l'époque. Les derniers rebondissements du dossier judiciaire depuis 2009, et notamment les vices de procédure constatés, semblent avoir convaincu le président Sarkozy d'en faire un enjeu médiatique, comme en 2007 la détention des infirmières bulgares en 2007 ou la capitivité d'Ingrid Betancourt, pour faire oublier ses déboires politiques du moment. Le gouvernement français a accusé le Mexique de "déni de justice" et décidé de consacrer l'année culturelle du Mexique prévue en 2011 à Mme Cassez. Même si une partie de la gauche et du centre critiquent la gestion par M. Sarkozy de ce dossier, 200 députés français mardi dernier ont posé aux côtés de la famille Cassez (alors que bien peu se mobilisent pour le jeune Français de Palestine Salah Hamouri détenu en Israël).
Au Mexique au contraire la mobilisation contre l'ingérence française est de grande ampleur. Même le prestigieux recteur de l'Université nationale autonome du Mexique José Narro Robles haute autorité morale de la gauche mexicaine et latinoaméricaine, a réclamé en Une du journal La Jornada dimanche "le respect de la souveraineté" de son pays
La France n'est pas la seule puissance occidentale a vouloir donner des leçons au Mexique.
Le 18 février le président du groupe sénatorial du Parti de la révolution démocratique mexicain (membre de l'internationale socialiste), Carlos Navarrete, a qualifié de grave et inacceptable la prétention des Etats-Unis d'envoyer des agents du FBI enquêter sur l'assasinat par le cartel de Zeta d'un agent des migrations étatsunien à San Luis Potosí.
9 jours plus tôt la secrétaire américaine à la Sécurité intérieure des Etats-Unis, Janet Napolitano, n'avait pas hésité à évoquer une éventuelle collusion entre barons de la drogue mexicains du cartel des Zetas et terroristes islamistes d'Al-Qaïda, une accusation déjà lancée par le Daily Telegraph en décembre dernier...
Suite à l'ambuscade de San Luis Potosí, le sénateur républicain Mickael Mc Caul a incité Washington a faire pression sur le Mexique pour que les agents fédéraux des Etats-Unis en charge de la répression des trafics sur le sol mexicain soient autorisés à porter des armes.
Le Mexique qui a enregistré le décès de 30 000 personnes dans le cadre de la guerre contre les mafias lancée par le président Calderon est aujourd'hui donc en lutte sur plusieurs fronts, tandis que la gauche (voir l'éditorial de la Jornada aujourd'hui) critique la droite mexicaine au pouvoir non seulement pour n'avoir pas su défendre mieux la souveraineté du pays face aux ingérences croissantes des Etats-Unis et de la France, mais aussi de s'être coupé de soutiens potentiels comme Cuba et le Venezuela avec lesquels le président Calderon a rompu récemment. Un isolement que paie le peuple mexicain tout entier du point de vue de sa capacité à défendre ses intérêts sur la scène internationale.
Ingérence militaire des Etats-Unis en Amérique du Sud : la cargaison clandestine d'Ezeiza
Le 10 février dernier, les États-Unis ont tenté d’introduire illégalement un chargement d’armes et de drogues, à l’aéroport international d’Ezeiza à 20 km de Buenos Aires (Argentine) dans un énorme Boeing C-17 des Forces aériennes états-uniennes. Cet avion était censé ne transporter que des instructeurs et du matériel nécessaire pour un cours à 'intention du Groupe d’intervention spéciale de la Police fédérale argentine, prévu pour fin février et début mars. Les autorités aéroportuaires argentines lorsqu'elle ont fait l'inspection du cargo ont découvert des canons, des mitrailleuses et des carabines, ainsi qu’une valise celée qui ne figuraient pas dans liste de matériel prévu à l'origine. Les militaires qui voyageaient à bord de l’avion cargo ont refusé d’ouvrir la valise celée en arguant du fait qu'elle contenait des éléments informatiques que des satellites espions militaires pourraient déceler si la valise était ouverte. Ce ne sera qu’après deux jours d’ardues discussions, que les autorités argentines ont eu accès, dimanche le 13 février, au contenu de cette valise. Ils y ont trouvé des drogues, des équipements de transmission, des dispositifs informatiques de stockage de masse (clé USB) et des appareils scripteurs.
Le Département d'Etat étatsunien a convoqué l'ambassadeur d'Argentine pour protester contre cette saisine de matériel, alors que le chef du cabinet de la présidence argentine Aníbal Fernández faisait remarquer qu'une telle introduction clandestine d'armes aux Etats-Unis en provenance d'un pays du Sud aurait conduit à l'incarcération immédiate des responsables de la cargaison. Le journaliste argentin Horacio Verbitsky dans son article du 13 février estimait en s'appuyant sur le livre de la journaliste du Washington Post Dana Priest The Mission. Waging War and Keeping Peace with America’s Military (2003) que cette livraison d'armes aurait pu être décidée directement par le Pentagone qui jouit d'une grande autonomie dans l'appareil d'Etat étatsunien.
Le mercredi 16 février le président bolivien Evo Morales a dénoncé dans cette introduction d'armes et de drogues en Argentine une action "arbitraire et illégale qui non seulement viole l'intégrité de l'Argentine et des pays latinoaméricains et mais qui démontre aussi que les Etats-Unis participent au commerce de la drogue dans le monde". Il proposera prochainement à l'Union des nations sud-américaines (Unasur) un mécanisme de contrôle systématique des avions militaires étatsuniens.
En réponse aux protestations du gouvernement argentin, la porte-parole du Département d’État, Virginia Staab, a argumenté le 15 février que "ce débarquement avait été complètement coordonné et approuvé par le Ministère de Sécurité et le ministère des Affaires étrangères du Gouvernement de l’Argentine". Mais à l'évidence, cette tentative de justification ne vaut pas pour les armes et les drogues non répertoriées qui selon les Argentins représentaient un tiers du volume de l'avion.
Reste à déterminer à qui étaient destinés ces équipements clandestins, et contre quel gouvernement ou quelle force politique dans la région ils devaient être utilisés. Beaucoup pensent à la Bolivie qui a déjoué une tentative de coup d'Etat en avril 2008. Mais cette livraison d'armes et de stupéfiants pouvait aussi s'inscrire dans le cadre d'une opération de déstabilisation de plus grande ampleur. Washington a déclaré qu'aucune explication ne sera donnée sur l'usage qui devait être fait de cette cargaison.
Frédéric Delorca
Côte d'Ivoire-Zimbabwe : vers un reflux de l'ingérence occidentale ?
Alors qu'une mission de l'Union africaine (UA) chargée de trouver une solution à l'impasse politique où se trouve la Côte d'Ivoire vient d'achever son travail dans la discrétion, et que le spectre d'une intervention militaire de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) s'éloigne, l'Afrique du Sud a envoyé une frégate au large d'Abidjan.
"Cela ne peut que compliquer les choses" a déclaré le Ghanéen James Victor Gbeho, président pro-occidental de la Commission (pouvoir exécutif) de la Cédéao. "La solidarité qui s'est faite jour au sein de la communauté internationale est en train de s'effriter rapidement parce que certains pays prennent parti et ne sont pas d'accord avec la décision qui a déjà été prise (de défendre la victoire électorale d'Alassane Ouattara, ndlr)", a-t-il ajouté selon la correspondante de Libération et de Radio France International Sabine Cessou sur le blog Posts Afrique.
Prétoria a affirmé que cette frégate n'est là que pour facilter d'éventuelles négociations, comme Nelson Mandela avait dépêché une frégate au large du Congo-Zaïre en 1997 pour permettre le dialogue entre Laurent Désiré Kabila et Mobutu Sese Seko. Le journal "Le Pays", lui, accuse l'Afrique du Sud de s'apprêter à livrer des armes au président Gbagbo.
Selon, Renaldo Depagne, un responsable de l'International Crisis Group (ICG) financée par la fondation Soros, le camp africain des pro-Gbagbo, mené par l'Afrique du Sud, compterait l'Ouganda, la Gambie et le Zimbabwe.
Il semble qu'en France au sein même du parti gouvernemental UMP des voix commencent à s'élever pour mettre fin au boycott du gouvernement de Laurent Gbagbo. Le 8 février l'Elysée a empêché in extrémis un déplacement à Abidjan des députés UMP Yves Censi, Cécile Dumoulin et Jean-François Mancel, voyage que les agences de presse couvrent de sarcasmes mais qui semble correspondre à des convictions profondes chez eux puisqu'ils s'étaient déjà distingués en novembre dernier en se prononçant contre l'isolement infligé par la "communauté internationale" au gouvernement de Madagascar.
L'unanimité pour une pression sur le gouvernement d'Abidjan est donc loin d'être acquise.
Autour du Zimbabwe aussi le débat sur l'ingérence occidentale connaît de nouveaux développements. Selon un câble publié vendredi sur le site de Wikileaks, en avril 2009 lors d'une réunion à Paris Bruno Joubert conseiller diplomatique adjoint de l'Elysée, Eric Chevallier et Charlotte Montel conseillers techniques au cabinet de Kouchner auraient fait pression sur le ministre britannique Malloch-Brown pour une levée des sanctions après la constitution du gouvernement d'union nationale, ce qui a permis la reprise des pourparlers avec l'Union européenne, malgré la présence d'un fort lobby anti-Mugabe dans la classe politique britannique. Il est vrai que les sanctions économiques n'ont pas empêché le pays le pays de connaître une croissance de 5,7% en 2009, 8,1 en 2010 grâce à une bonne reprise de l'agriculture, ce qui justifie de bonnes anticipations économiques pour les années à venir.
Wikileaks a aussi révélé quel rôle les sanctions internationales jouaient dans la manipulation de la classe politique zimbabwéenne : le parti d'opposition MDC-T dont le dirigeant a été nommé premier ministre auprès du président Mugabe sous la pression étrangère, a négocié directement avec l'Union européenne des levées des sanctions au profit de ministres ou d'entreprises proches de ce parti pour l'aider à prendre l'ascendant contre le parti de Mugabe.
Le 9 février le quotidien zimbabwéen The Herald mettait à l'honneur une déclaration de l'ambassadeur iranien à Harare qui affirmait que l'Occident punissait le Zimbabwe pour sa résistance au néo-colonialisme et annonçait la visite du ministre des affaires étrangères chinois dont le pays coopère beaucoup avec le Zimbabwe.
Le régime thaïlandais sur la pente d'un nationalisme agressif
Alors que la Cour constitutionnelle thaïlandaise a rejeté fin novembre pour tardiveté les poursuites contre le Parti démocrate (PD) au pouvoir, qui risquait la dissolution pour une utilisation frauduleuse de 29 millions de bahts (960.000 dollars) en 2005, que les crimes de la répression des Chemises rouges restent impunis, et que le régime renforce sa censure en interdisant plus de 200 000 sites et blogs dans ce pays, la xénophobie anti-cambodgienne et les velléités expansionnistes commencent à se développer.
En novembre après qu'un mouvement de foule ait causé des centaines de morts à Phnom Penh, des commentaires racistes anti-cambodgiens s'étaient déchaînés sur le site pro-gouvernemental Web Manager si l'on en croit un article d'Asiancorrespondent. Le 30 décembre dernier on annonçait que six membres des Chemises jaunes pro-gouvernementaux accompagnés d’un député du parti qu’ils ont porté au pouvoir ont été arrêtés par des soldats cambodgiens alors qu’ils avaient franchi la frontière dans une zone frontalière de 4,6 km2 contestée par les ultra-nationalistes. La zone fait l'objet de litiges notamment depuis que le temple khmer de Preah Vihear qui s'y trouve a été classé par l'Unesco en 2008.
Le 7 février dernier, le Cambodge a informé les chancelleries occidentales que la Thaïlande est allée plus loin en organisant une démonstration de force militaire et des tirs de mortier dans la zone du temple. Un échange de coups de feu à l'arme lourde avec l'armée cambodgienne s'en est suivi, puis un cessez le feu a été conclu le 4 février, avec un bilan d'au moins trois morts côté thaïlandais et huit côté cambodgien.6 000 personnes ont dû quitter leurs villages.
Des combats avaient déjà eu lieu en juillet 2008 dans cette zone. La Thaïlande avait refusé à l'époque une médiation de l'ONU. En 1962 la Cour internationale de justice avait jugé que la région du temple de Preah Vihear appartenait bien au Cambodge.
Comme lors de la répression des Chemises rouges, les grandes puissances se sont montrées complaisantes à l'égard de cette montée du nationalisme en Thaïlande. La demande de réunion d'urgence du Conseil de sécurité présentée par le Cambodge a été rejetée. L'Association des nations d'Asie du Sud-Est (ASEAN) quant à elle incite à un règlement pacifique dans le cadre de discussions bilatérales.
Quatre basculements politiques
Les derniers mois ont été marqués par quatre basculements politiques dans des contextes politiques et sociaux très différents mais qui ont eu pour effet de contrer l'ingérence économique ou militaire des puissances étrangères et/ou des organismes multinationaux :
- La révolution islandaise
Fin 2008 alors que les banques s'effondraient le gouvernement nationalisait les principales banques du pays. Après avoir accepté un plan du FMI, il était contraint face aux protestations populaires de démissionner en janvier 2009. Aux élections d'avril une coalition de gauche (social-démocrates et alliance de gauche verte) arrivait au gouvernement mais faisait adopter une loi de remboursement à la Grande-Bretagne et aux Pays-Bas des dettes accumulées les banques. De nouvelles manifestations citoyennes forçaient en janvier 2010 le président de la République à soumettre la loi à référendum. Elle était rejetée à 93 % en mars. Fort de ce soutien le gouvernement lançait des poursuites pénales contre les responsables des banques à l'origine de la crise, tandis que le FMI suspendait son aide. En novembre dernier les Islandais ont élu une assemblée constituante qui doit commencer à rédiger une constitution plus démocratique ce mois-ci, tandis que le gouvernement faisait adopter une loi de protection des médias alternatifs.
- La révolution tunisienne
Après un mouvement social qui a duré presque un mois, le 14 janvier 2011 le peuple tunisien avec le soutien de l'armée est parvenu à faire fuir à l'étranger le dictateur Ben Ali, puis, dans les jours qui ont suivi, à faire échouer son projet de semer le chaos dans le pays en infiltrant des snipers dans les villes et les villages, et d'organiser un intérim qui lui permettrait de revenir en pacificateur. Les Etats-Unis ont dû reconnaître l'aspiration du peuple au changement et la France, qui avait proposé au dictateur son soutien pour faciliter la répression, a admis son erreur et refusé de l'accueillir sur son territoire.
- Le changement de gouvernement au Liban
Le milliardaire libano-saoudien Najib Mikati vient de nommer un gouvernement affranchi de la tutelle occidentale regroupant une vaste majorité de la classe politique (dont le Hezbollah) en remplacement du milliardaire Saad Hariri, abandonné par l'Arabie Saoudite, qui s'était discrédité en approuvant de manière inconditionnelle les ingérences judiciaires étatsuniennes au pays du Cêdre.
- La révolution égyptienne
Bien que la classe moyenne égyptienne soit moins nombreuse qu'en Tunisie, que le gouvernement de Moubarak ait laissé plus de marge à la liberté d'expression depuis 6 ans que celui de Ben Ali et qu'il ait bénéficié d'un soutien plus actif des Etats-Unis et d'Israël, l'Egypte a aussi pris le chemin de la Tunisie avec des immolations par le feu vers mi-janvier et une vague de manifestations de grande ampleur à partir du 24, conduisant le président Moubarak, après avoir organisé une répression brutale, à nommer un vice-président, tandis que l'armée en venait à s'engager à ne plus tirer sur la foule. Le 1er février des centaines de milliers de personnes étaient rassemblées, place Tahrir au Caire, pour exiger le départ d'Hosni Moubarak
Ces mouvements ont eu des répercussions à travers le monde. Le vendredi 28 janvier en Jordanie des milliers de personnes ont protesté pacifiquement dans les rues, mais sans remettre en cause la légitimité du roi Abdallah, dont le gouvernement a annoncé des mesures pour calmer le mouvement social. Au Sénégal des émeutes provoquées par les coupures d'électricité ont éclaté dans la nuit du 20 janvier à Dakar. Au Yemen au terme d'une semaine de troubles le 27 janvier des 16 000 manifestants descendaient dans la rue à Sanaa pour manifester leur solidarité avec les Egyptiens et demander un changement de régime dans leur propre pays. Des pourparlers entre le parti au pouvoir et l'opposition ont été initiés tandis que les régions montagneuses du pays manifestaient aussi, mais certains analystes expliquaient que le pays n'avait pas une classe moyenne suffisante (et notamment pas d'accès à Internet pour la coordination du mouvement social) pour obtenir la même efficacité qu'en Tunisie ou en Egypte.
F. Delorca