Dans une semaine le secrétaire d'Etat étatsunien Hillary Clinton sera à Naypyidaw (nouvelle capitale qui a remplacé Rangoon), première visite d'un officiel américain de ce rang depuis 50 ans. « Mme Clinton soulignera l'engagement américain à une politique d'engagement de principe et à un dialogue direct dans le cadre de notre double approche», a déclaré son porte-parole , soulignant qu'elle va « confirmer le soutien pour les réformes dont nous avons témoigné ces derniers mois et discuter de la poursuite de ces réformes dans des domaines clés, ainsi que des mesures que les États-Unis peuvent prendre pour renforcer ces progrès ».
Le 17 novembre le président Barack Obama avait appelé à l’instauration de nouvelles relations entre les Etats-Unis et la Birmanie et l'Asean le même jour avait confié la présidence tournante de son organisation à la Birmanie en 2014. Quelques jours plus tôt, le 10 novembre, le ministre des affaires étrangères japonais Koichiro Gemba et son homologue indonésien Marty Natalegawa étaient tombés d'accord pour accroître la coopération avec la Birmanie et l'assister dans sa "transistion démocratique".
Ce spectaculaire rapprochement avec les Occidentaux est le résultat de la politique impulsée par le nouveau président de la République (et général) Thein Sein auquel la junte militaire a laissé place au terme d'élections contrôlées destinées à mettre en place un gouvernement civil. Depuis lors le gouvernement birman a entrepris des réformes politiques et économiques dans le pays, y compris la poursuite des privatisations initiées par le précédent gouvernement et la libération très remarquée de milliers de prisonniers politiques (dont les membres de l’Association des Moines de toute la Birmanie responsable des émeutes de 2007) ainsi que la reprise du dialogue avec l'opposante Aung San Suu Kyi.
La nouvelle orientation de Thein Sein s'accompagne aussi d'un rééquilibrage géopolitique. Rangoon a pris ostensiblement ses distances avec son protecteur chinois en gelant les travaux sur un grand barrage construit par les Chinois dans le nord du pays (Myitsone),
En contrepartie la Birmanie s'est rapprochée de l'Inde où s'est récemment rendu le président birman (alors que la junte en 1988 avait expusé un demi million d’Indiens de son territoire).
Pour autant même les analystes indiens comme G. Parthasarathy dans le journal The Hindu estiment que l'alliance avec la Chine restera difficilement contournable, du fait de son poids économique dans le pays (secteurs de la construction, de l'armement etc.). La Chine est aussi un partenaire important pour la gestion des conflits ethniques à la périphérie de la Birmanie. En particulier des tensions ont surgi récemment à la frontière nord du pays avec la milice qui défend le territoire des Kokang, le seul peuple de langue chinoise de Birmanie, des tensions qui s'ajoutent à la reprise de la guerre au Kachin (après 17 ans de cessez-le-feu) en juin dernier.
La Chine est d'autant plus susceptible de garder une influence en Brimanie qu'au sein même du gouvernement de ce pays l'option de la libéralisation et de l'ouverture sur l'Occident est loin de faire l'unanimité. Ainsi le ministre de l'information, le général Kyaw Hsan, dans un discours récent à la chambre basse à Naypyidaw a comparé les médias à des "fourmis rouges" et a jugé que la liberté de la presse avait plus d'inconvénients que d'avantages.
En tout cas le processus de libéralisation offre aux Occidentaux de nouveaux points d'appuis pour peser sur la politique birmane. Alors que les donnateurs comme la National Endowment for Democracy soutiennent moins les groupes réfugiés en Europe et aux Etats-Unis, leur intérêt se porte, comme l'a évoqué l'ambassadeur danois en Birmanie en févier dernier, vers Egress, une ONG dirigée par Nay Win Maung qui prétend incarner une opposition modérée, troisième voie entre l'armée et Aung San Suu Kyi, et qui a soutenu le processus électoral de février dernier. Nay Win Maung, fils de militaire et ancien étudiant de Yale, que le gouvernement a choisi comme intermédiaire avec Oxfam après le passage du cyclone Nargis, possède deux magazines dans lesquels il traduit des articles étrangers. Selon le Washington Post, il serait une sorte de représentant officiel de la société civile birmane que l'armée aurait mis en avant pour contribuer à la transition douce à l'oeuvre depuis mars dernier. Il serait à ce titre un acteur important du rapprochement birmano-étatsunien auquel on assiste aujourd'hui.
Djibril Cissoko