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5 janvier 2012 4 05 /01 /janvier /2012 11:07

jeu_dames.jpgLe  New-York Times du 3 janvier 2012 titrait "Les ouvertures aux islamistes égyptiens inversent la politique de long terme des Etats-Unis" (Overtures to Egypt's Islamists Reverse Longtime US Policy). L'article de David D. Kirpatrick et Steven Lee Myers souligne que Washington désormais s'accommode des Frères musulmans en Egypte depuis que ceux-ci se sont engagés à respecter les règles démocratiques, le libéralisme économique et les traités avec Israël, tandis qu'ils accumulent les frustrations à l'égard du régime militaire qu'ils accusent de vouloir confisquer le pouvoir.

 

Récemment John Kerry, ex candidat aux présidentielles face à Bush, et aujourd'hui président de la commission des affaires étrangères du Sénat et l'ambassadrice Anne W. Patterson ont rencontré trois hauts responsables du Parti de la justice et de la liberté (Frères musulmans) égyptien, Essam El-Erian, Mohamed Saad Katani et Mohamed Morsi à Washington le 10 décembre dernier. Selon l'administration Obama il s'agirait là d'une nouvelle forme de Realpolitik comme lorsque Reagan a engagé des négociations avec l'URSS sur la course aux armements. Ce renversement d'alliance s'est d'ailleurs illustré lundi dernier lorsque les Etats-Unis ont adressé un ultimatum au gouvernement militaire au sujet des perquisitions chez les ONG pro-occidentales.

 

En réalité le chemin pour le rapprochement avec les Frères musulmans égyptiens avait été balisé dès le mois de février par le directeur du Renseignement national (National Intelligence) James Clapper, qui, devant la Commission du renseignement de la chambre des représentants, avait présenté les Frères musulmans comme un "groupe hétérogène", "largement laïque", et qui refusait la violence.

 

Les convergences entre les Frères musulmans et les intérêts américains ne se limitent pas à l'Egypte puisque Washington comme les islamistes ont eu un intérêt commun au renversement du régime de Kadhafi en 2011 et des régimes relativement laïcs d'Algérie et de Syrie aujourd'hui.

 

Selon certains analystes, la nouvelle stratégie américaine intègrerait même une alliance ponctuelle avec des islamistes sunnites plus radicaux de la mouvance Al-Qaida, qui ont été actifs dans la guerre de Libye (avec notamment le gouverneur militaire de Tripoli Abdelhakim Belhaj et le guide spirituel cheikh Ali Al-Salibi) et aujourd'hui dans l'encadrement de l'Armée syrienne libre (selon le reportage de Daniel Iriarte dans le quotidien espagnol ABC du 17 décembre 2011, deux lieutenants d'Abdelhakim Belhaj dirigeraient cette structure).

 

Un opérateur de l'alliance entre les Etats-Unis et les Frères musulmans est l'émirat du Qatar. En 2011 ce pays a financé les rebelles libyens de Benghazi, fait passer la motion de la Ligue arabe pour les soutenir, fourni de la logistique depuis les talkie-walkie jusqu'aux Chevrolet SUV, puis des missiles anti-tank français Milan, entraîné des miliciens (encore aujourd'hui il existe un programme d'entraînement de soldats libyens en France financé par le Qatar), lancé une chaîne TV anti-Kadhafi Libya al-Ahrar. Le Qatar aujourd'hui exerce une influence perçue comme de plus en plus encombrante sur le gouvernement libyen (voir Time Magazine du 2 janvier), et pourtant l'émirat ne s'arrête pas là. En Algérie, il finance la chaîne de TV d'Oussama Madani, un des fils de Abassi Madani, ancien président du Front islamique du Salut. En Syrie il a fait passer la motion suspendant le gouvernement de Bachar El Assad de la Ligue arabe et aujourd'hui son premier-ministre cherche à discréditer les témoignages des observateurs de la Ligue arabe à Damas parce que ceux-ci ont relevé que le gouvernement syrien était confronté à des groupes armés. Selon le site Debkafiles du 27 décembre, le Qatar a monté de toute pièce en accord avec l'Arabie saoudite une force mobile d'intervention de 2 5000 hommes dont la moitié est composée de combattants du Groupe combattant islamique en Libye (Islamic Fighting Group in Libya-IFG) et des terroristes du Ansar al-Sunna irakien (responsable d'attentats sanglants), les a convoyés de l'Irak et de Libye jusqu'en Turquie pour suivre un entraînement militaire, et assure la logistique de leurs infrastructures de communication, avec la complicité de l'OTAN.

 

Le Qatar est d'aileurs de plus en plus imbriqué dans les structures militaires et civiles occidentales. Le fonds souverain qatarien Qatar Holding multiplie les prises de participation dans le capital des grandes entreprises européennes- Hochtief, Volkswagen, Iberdrola, Veolia, ou encore Vinci. Il a porté en décembre sa part d'actions de 7,6 à 10,07% dans le capital du fabricant d'armes français Lagardère (qui contrôle aussi les grands médias de l'hexagone) et lorgnerait vers EADS (voir L'Expansion du 3 janvier 2012)

 

Mais la nouvelle politique pro-islamiste d'Obama, qui correspond à la tradition démocrate (Jimmy Carter a aidé les islamistes en Afghanistan, Bill Clinton en Bosnie-Herzégovine) heurte les Républicains adeptes du choc des civilisations et leurs alliés en Europe et en Israël.

 

Divers blogs républicains ont rappelé que les Frères musulmans continuent de vouloir appliquer la charia et à ce titre ne méritent pas d'être taxés de laïques (secular). Les Républicains reprochent aussi à Hillary Clinton d'avoir reçu, du 12 au 15 décembre, à huis clos à Washington des représentants de l'Organisation de la conférence islamique (OCI) pour discuter de la mise en oeuvre la résolution 16/18 du Conseil des droits de l'homme de l'ONU relative à la lutte contre l'intolérance, la stigmatisation, la discrimination et la violence à l'encontre des personnes sur la base de leur religion ou de leur croyance. Selon eux, le vote de la résolution en mars dernier avait permis de préserver la notion de liberté d'expression, ce que risque de menacer le droit de regard que Mme Clinton accorde à l'OCI au niveau de la mise en oeuvre. 

 

En Europe José Maria Aznar, ancien Premier ministre espagnol et allié important de George W. Bush pendant la guerre d'Irak, invité du blog de CNBCa révélé le 9 décembre 2011 qu’Abdelhakim Belhaj était un des suspects dans les attentats du 11 mars 2004 à Madrid. L'ex-ambassadeur israélien Dore Gold président du Jerusalem Center for Public Affairs a complaisamment relayé l'information dans le Jerusalem Post tout en mettant en garde le public américain contre le fait que les Frères musulmans pourraient un jour s'allier à l'Iran si elle venait à prendre le leadership du Proche-Orient, comme l'avait fait le gouvernement lié aux Frères musulmans du Soudan dans les années 1990.

 

L'alliance entre Obama et les Frères Musulmans (voire avec certaines tendances d'Al Qaida), dans une relation triangulaire avec les pétro-monarchies est aussi de nature à inquiéter l'Iran et ses alliés du Hezbollah libanais, car nul doute que la force mobile créée par les Qatariens si elle parvenait à s'implanter en Syrie serait aussi d'une grande utilité contre eux. La carte du choc des civilisations chrétiens/musulmans tend ainsi à se transformer dans l'esprit des stratèges en choc chiites/sunnites...

 

La version audio de ce billet (Radio M) :

 

 

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