Le 24 février s'est tenue à Tunis la conférence des "Amis de la Syrie" réunissant 70 pays, y compris l'Inde, qui a décidé d'y assister après avoir reçu une aide pétrolière de Riyad, mais en l'absence de la Russie et de la Chine. Le groupe a reconnu le Conseil national syrien (CNS) comme "un représentant légitime des Syriens qui cherchent un changement démocratique pacifique". Il s'est engagé à fournir "un soutien effectif" à l'opposition, sans plus de précisions et prôné l'instauration de couloirs humanitaire vers Homs pilonnée par l'armée syrienne.
Parallèlement à cette réunion, selon le Canard enchaîné du 29 février des représentants des services de renseignements américains, britanniques, français, turcs, saoudiens et qataris ont participé à une réunion secrète pour préparer un coup d'Etat à Damas pour lequel un budget serait prévu, avec une forte mobilisation des services français, sans garantie toutefois de pouvoir rallier des hauts gradés syriens à ce projet.
De leur côté, les partisans du régime syrien affichent leur optimisme. Le 14 février un article de la Komsmolskaia Pravda égrainait une série de nouvelles triomphalistes : "Le 7 février, une importante délégation russe, incluant les plus hauts responsables du renseignement extérieur, est arrivée à Damas où elle a été accueillie par une foule en liesse (...)Une série d’accords a été conclue pour le retour à la paix. La Syrie a restitué 49 instructeurs militaires faits prisonniers par l’armée syrienne. La Turquie est intervenue pour faire libérer les ingénieurs et les pèlerins iraniens enlevés, y compris ceux qui étaient détenus par les Français (au passage, le lieutenant Tlass qui les séquestrait pour le compte de la DGSE a été liquidé). La Turquie a cessé tout soutien à l’ « Armée syrienne libre », a fermé ses installations (hormis celle située sur la base de l’OTAN à Incirlik), et a livré son chef, le colonel Riad el-Assad. La Russie, qui s’est portée garante des accords, a été autorisée à réactiver l’ancienne base soviétique d’interception du mont Qassioum." Puis "les armées nationales non seulement de la Syrie, mais aussi du Liban, ont donné l’assaut des bases de la Légion wahhabite. Au Nord du Liban, un gigantesque arsenal a été saisi à Tripoli et quatre officiers occidentaux ont été faits prisonniers dans le Akkar dans une école désaffectée de l’UNRWA transformée en QG militaire. En Syrie, le général Assef Chawkat en personne a commandé les opérations. Au moins 1 500 combattants ont été faits prisonniers, dont un colonel français du service technique de communication de la DGSE, et plus d’un millier de personnes ont été tuées."
Ces informations ne sont pas toutes fiables. Ainsi par exemple celle selon laquelle le colonel Riad El-Assad a été livré par la Turquie est directement démentie par la dépêche publiée par Le Point quinze jours plus tard qui interviewe ledit colonel... Toutefois l'embarras des Occidentaux et leurs hésitations à suivre les wahabites saoudiens et qatariens dans leurs projets d'intervention en Syrie sont sensibles depuis la réunion de Tunis. Il ne semble pas y avoir de stratégie de rechange sérieuse après la position ferme adoptée par les Russes et les Chinois.
Par ailleurs, divers éléments confirment que le soutien militaire des pétromonarchies et des Occidentaux à l'opposition syrienne armée ne fait pas l'unanimité au Proche-Orient y compris même parmi les alliés potentiels des opposants à Bachar El-Assad. Ainsi dans l'Ouest de l'Irak, alors qu'Al Qaida a appelé au Djihad en Syrie, les chefs tribaux sunnites hostiles au gouvernement de Damas sont beaucoup plus modérés. Al Arabiya aujourd'hui cite les cheikhs Khaled Khalifa, Hnein, et Ali Ayed qui tous soulignent que l'aide à la guérilla nuira au peuple syrien et que les pétromonarchies devraient plutôt exercer des pressions politiques sur le régime syrien. Au Liban, le Quotidien L'Orient-le-Jour cite aujourd'hui les propos du chef de l'église maronnite Mgr Béchara Raï. Celui-ci, qui se défend de soutenir le régime syrien, mais condamne le soutien à la rébellion armée. « La Syrie, comme d’autres pays, a besoin des réformes que le peuple réclame et que même son président, Bachar el-Assad, avait annoncées depuis mars dernier », estime-t-il. « Il est vrai que le régime du Baas est une dictature, mais il en existe plusieurs sur son modèle dans le monde arabe », a-t-il poursuivi en enchaînant : « Dans tous les pays arabes, la religion de l’État est l’islam, sauf en Syrie où l’on indique seulement que le président doit être musulman sans considérer l’État comme étant islamique. » « La Syrie est la plus proche d’une démocratie » ajoute-t-il en faisant référence à la liberté religieuse qui y règne. Faisant état de « plans destructeurs établis dans le cadre des politiques internationales », Mgr Raï estime que ce sont « des États et non pas les peuples qui soutiennent financièrement, militairement et politiquement les mouvements intégristes ». Le patriarche maronite libanais est certes accusé par certains sites de dépendre de Damas mais sa position, comme celle du général Aoun, traduit pour le moins une division des chrétiens libanais sur le dossier syrien (alors que ceux-ci sont traditionnellement proches des positions occidentales).
Pendant ce temps les combats contre les déserteurs de l'Armée de Libération syrienne se poursuivent à Homs et Rastane.
Pour mieux comprendre la situation syrienne, on peut se reporter au rapport d'une mission organisée par le Centre international de recherche et d’études sur le terrorisme et d’aide aux victimes du terrorisme (CIRET-AVT) et le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) présenté lors d'une conférence de presse à Paris le 10 février dernier (devant des médias arabes notamment, mais L'Humanité était le seul médias français à y assister). Ce rapport, tout en étant sans concession à l'égard du régime répressif syrien, montre clairement les enjeux géopolitiques extérieurs qui se sont greffés sur le cas syrien (notamment l'ingérence des Occidentaux et des pétromonarchie), venant compromettre sciemment les chances d'une démocratisation pacifique du pays. Il est en ligne ici.