Le Nigeria (168 millionsd'habitants) peine de plus en plus à contrer les exactions attribuées au groupe terroriste Boko Haram. Il y a trois semaines 234 écolières (selon le décompte final) ont été enlevées alors qu'elles passaient un examen, par un groupe armé à Chibok dans l'Etat de Borno (nord-est) pour servir d'esclaves sexuelles, un enlèvement qui a suscité beaucoup d'émois dans le pays, mais les enquêteurs restent dans l'incapacité de localiser les ravisseurs. Les attaques criminelles dans l'Etat de Borno sont nombreuses. Au total dans tout le pays mille personnes auraient été tuées entre janvier et mars et près de 250 000 déplacées, de sorte qu'aujourd'hui un cinquième de la population ne vit plus à son domicile. L'impact des attaques est amplifié par les rumeurs. Mardi derner, tout le couloir d'activité Lagos-Ogun-Oyo a été paralysé par une rumeur selon laquelle des terroristes de Boko Haram s'étaient positionnés à Abeokuta, sur la voie expresse Lagos-Ibadan.
L'inefficacité des forces de police nigériane provoque un débat sur l'opportunité d'une ingérence extérieure. A la fin du mois de mars dernier, le président du sénat nigérian, David Mark, qui recevait vice-secrétaire générale de l’ONU, Jan Eliasson. Le colonel Sambo Dasuki, conseiller à la sécurité nationale auprès du président Goodluck Jonathan, a rencontré ses homologues du Niger, du Bénin, du Tchad et du Cameroun pour coordonner la répression avec les pays voisins, et Abike Dabiri-Eruwa présidente de la commission des affaires de la diaspora a aussi appelé le président à rechercher une solution avec des pays étrangers.
Dimanche 27 avril, Jerry Rawlings, ancien président du Ghana, en visite à Igueben au Nigeria à l'occasion du soixante dixième anniversaire de l'ex-ministre des affaires étrangères et leader d'une coalition d'opposition Chief Tom Ikimi, a déconseillé à la fois le recours à la seule répression armée contre Boko Haram et le recours à l'intervention extérieure. "La puissance politique du Nigeria compte pour 35 % de la puissance politique du continent africain, a-t-il déclaré.C’est pour cela que le Nigeria doit montrer la direction pour l’Afrique. Vue la manière dont le monde évolue, le Nigeria ne doit pas se sentir vulnérable ou d’autres tireront avantages de ses problèmes ». Jerry Rawlings s'exprimait aussi en tant que membre du groupe des sages (elders) créé par Nelson Mandela en 2007, qui rassemble des hommes d'Etat en retraite et fonctionne comme une autorité morale pour le continent africain. Rawlings reste populaire dans son pays qu'il a gouverné pendant 19 ans à partir de 1981, où il avait conduit une révolution socialiste jusqu'à ce qu'en 1983 le FMI le contraigne à mettre en oeuvre une politique libérale.
Le président nigérian Jonathan quant à lui avait souligné à Abuja le 29 mars à la réunion annuelle de la Commnauté économique d'Afrique que des puissances extérieures"qui ne veulent pas que l'Afrique se devéloppe" financent probablement Boko Haram en rappelant qu'un fusil AK-47 comme en ont les terroristes valait 1 000 dollars, une somme que ne peuvent à l'évidence payer par eux-mêmes les groupes de combattants.
En janvier 2012, dans le New York Times, Jean Herskovits, professeur à l'université d'Etat de New-York, tentait de dissuader les Etats-Unis de s'engager dans une logique de guerre au Nigeria contre Boko Haram. rappelant que ce groupe islamiste à l'origine pacifique avait basculé dans la violence en 2009 après la mort de son leader Mohamed Yusuf en garde à vue, et que son expansion se nourrissait surtout de la pauvreté endémique de la population, de sorte d'ailleurs que beaucoup de groupes de bandits pouvaient se réclamer de Boko Haram dans le simple but de couvrir leurs méfaits. En 2012, précisait-il, 25 % du budget du Nigeria est consacré à la sécurité et les forces de police y sont plus redoutées que les terroristes. Beaucoup d'observateurs estiment que la solution au problème du terrorisme au Nigeria serait, comme cela a été fait au Venezuela, une juste redistribution de la rente pétrolière au profit de la majorité de la population déshéritée. Mais pour l'heure les discours sur l'accompagnement économique et social de la politique sécuritaire restent purement rhétoriques.
F. Delorca