Jérôme Brisson l'explique dans Rue89 : "Début mai, la firme américaine Monsanto, leader mondial des OGM, a annoncé un don à Haïti de 475 947 kilos de graines hybrides de maïs et de légumes. Ils seront distribués pendant douze mois aux paysans haïtiens avec l'aide d'autres multinationales (UPS et Kuehne+Nage). L'opération est soutenue par le gouvernement américain puisqu'elle s'inscrit dans le cadre du projet Winner, lancé en octobre dernier par l'Agence américaine d'aide au développement international (USAID) pour aider à construire une nouvelle infrastructure agricole en Haïti."
Les graines de maïs de Monsanto ne pouvant être resemées, les agriculteurs devront en racheter à Monsanto les années suivantes. USAID se veut rassurante en rappelant que l'aide de Monsanto ne concerne que 10 000 paysans.
Il existe cependant de sérieuses raisons de s'inquiéter : le directeur général du projet Winner n'est autre que Jean-Robert Estimé, qui fut ministre des Affaires étrangères pendant 29 ans sous la dictature des Duvalier. Il faut en outre rappeler queMonsanto s’est depuis longtemps attiré la colère des écologistes, des militants pour la santé et des petits agriculteurs ; cela remonte à sa production de l’Agent orange durant la guerre du Vietnam. L’exposition à l’Agent orange a provoqué des cancers chez un nombre considérable de vétérans US et le gouvernement vietnamien affirme que 400 000 Vietnamiens ont été tués ou handicapés par l’Agent orange et que 500 000 enfants sont nés avec des malformations congénitales à cause de leur exposition à l’agent. Via Campesina, la plus grande confédération paysanne du monde présente dans plus de 60 pays, a traité Monsanto d’un des « ennemis principaux de l’agriculture paysanne durable et de la souveraineté alimentaire pour tous les peuples. » Ils affirment que, Monsanto et d’autres multinationales, en contrôlant une part sans cesse croissante des terres et de la production agricoles, forcent les petits cultivateurs à quitter leur terre et leur métier. Ils affirment également que les géants de l’agroalimentaire contribuent au changement climatique et à d’autres désastres environnementaux, une conséquence de l’agriculture industrielle.
La société civile haïtienne se mobilise contre ce péril que le père spiritain Jean-Yves Urfié qualifie de "nouveau séisme". Le Mouvement Paysan Papaye (Mouvman Peyizan Papay- MPP) de Chavannes Jean-Baptiste s’est engagé à brûler les semences de Monsanto et a appelé à une marche de protestation contre la présence des multinationales à Haïti le 4 juin 2010, pour la journée mondiale de l’environnement.
Le risque d'invasion d'Haïti par les OGM n'est pas le seul symptôme de la recolonisation du pays. Dans une interview récente, Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation, rappelait que les programmes successifs du FMI "ont réduit les droits de douane d’Haïti de 50 % à 3 %, en privant l’État d’une des rares ressources à sa disposition. Au début des années 1980, le pays était autosuffisant en riz. Aujourd’hui, il importe 75 % de ses besoins. Le riz subventionné en provenance de l’étranger a inondé le pays, ruinant des dizaines de milliers de familles paysannes, les chassant de leurs terres vers les bidonvilles". L’accord de partenariat économique (APE) imposé par l'Union européenne en 2008 va dans le même sens (malgré la mobilisation populaire à Haïti qui n'a pu que retarder sa signature). Le gouvernement haïtien est d'autant plus faible que ses infrastructructures ont été détruites par le tremblement de terre. Ce sont les Nations-Unies qui assurent le maintien de l'ordre. Le 27 mai dernier, l'armée des Nations-Unies a dispersé une manifestation d'étudiants aux abords du palais présidentiel et les ont poursuivi sur le Champ de Mars à Port-au-Prince où sont massés des milliers de sans-logis. Au moins six personnes ont été hopsitalisées du fait de l'usage de balles en caoutchouc. Des enfants et des vieillards ont été exposés à cette répression, qui n'a guère préoccupé les grands médias internationaux. La coalition Tet Kolé appelait à manifester pour protester contre la manière dont le président Préval et l'ONU géraient les conséquence du tremblement de terre.
F. Delorca