Quelques précisions factuelles pour aider à se faire une opinion au moins sur la sincérité du scrutin qui s'est tenu dimanche dernier en Iran et sur les éventuelles ingérences extérieures.
Sur le plan factuel deux camps s'affrontent, l'un et l'autre en principe fidèles à l'idéologie de la République islamique et l'héritage de l'Ayatollah Khomeiny puisque c'est une condition sine qua non pour pouvoir se présenter à l'élection présidentielle dans ce pays (ce qui a fait dire à Obama que les deux candidats se valaient du point de vue des USA, mais ce peut être là un propos qui cherche à masquer le intérêts réels de Etats-Unis). D'un côté le président sortant Mahmoud Ahmadinajed, parfois qualifié de "populiste", radical dans sa politique à l'égard d'Israël, et qui 'appuie sur le groupe des Gardiens de la révolution (anciens combattants de la guere Iran-Irak comme lui qui contrôlent des secteurs importants de l'économie iranienne). De l'autre Mir Hossein Moussavi, ancien premier ministre de 1981 à 1989, qui, selon l'universitaire Yann Richard aurait réalisé l'union des réformateurs derrière lui quand Ahmadinejad a mis en cause l'ancien président Hachemi Rafsanjani, patron d'une multinationale, soupçonné de corruption (alors que Moussavi dans les années 1980 était uun "radical" hostile à Rafsanjani). Moussavi paraît plus ouvert aux Occidentaux en politique internationale, il a notamment proposé de reprendre les pourparler sur le nucléaire.
La réalité des fraudes prête à débat. Le quotidien français Le Figaro explique, le 16 juin 2009, que selon certaines sources internes, « la commission électorale aurait d'abord prévenu Moussavi de sa victoire, dans la soirée du vote, vendredi, tout en lui demandant d'attendre pour annoncer le résultat Mais, le soir même, les rumeurs circulent selon lesquelles la réélection d'Ahmadinejad fera la une du journal conservateur Keyhan, dès le lendemain.
Ayant, semble-t-il, eu vent de l'affaire, Moussavi convoque alors, juste avant minuit, une conférence de presse, en dévoilant toute une liste de fraudes : le manque de bulletins de vote dans certaines grandes villes comme Chiraz, Ispahan et Téhéran, la fermeture anticipée de certaines urnes, malgré la prolongation annoncée des horaires de vote. Il évoque aussi l'impossibilité, pour ses représentants, d'assister au dépouillement, comme prévu par les autorités. Mais ses appels restent sans réponse./Pire. Le lendemain, un cordon de voitures de police empêche les journalistes d'accéder à un nouveau point presse, organisé par Moussavi dans les locaux du journal Etelaat. Furieux, ses partisans commencent alors à organiser des manifestations spontanées à travers la capitale, qui ont dégénéré en minicombats de rue face aux miliciens islamiques pendant le week-end». Selon Libération en date du même jour, selon des fuites obtenues auprès d'experts du ministère de l'Intérieur, « les vrais scores des candidats sont radicalement différents de ceux annoncés officiellement : le réformateur Mir Hussein Moussavi serait ainsi arrivé en tête avec 19 millions de voix (sur 42 millions de votants), devant le second candidat réformateur, Mehdi Karoubi, qui a recueilli 13 millions de suffrages, Ahmadinejad n'arrivant qu'en troisième position avec 5,7 millions.
Ces chiffres rappellent les résultats contradictoires qui furent avancés lors de l'élection présidentielle yougoslave de septembre 2000 à l'issue de laquelle les résultats finaux n'ont finalement jamais été connus, le président sortant ayant capitulé devant le pouvoir de la rue.
Ici, la thèse de la fraude se fonde sur des arguments qui tous pour le moment peuvent paraître contestables.
1) Des sondages ont donné M. Moussavi gagnant.
Diver sondages de la BBC ont donné Mir-Hossein Moussavi gagnant.
Toutefois déjà le 12 mai un sondage d'opinion mené à Téhéran ainsi que dans 29 autres capitales provinciales et dans 32 villes importantes du 3 au 4 mai, indiquait que 58,6% personnes interrogées voteraient en faveur d'Ahmadinejad, alors que 21,9% choisiraient Moussavi. On peut se reporter à l'intéressant tableau sur les sondages préélectoraux iraniens contradictoires que fournit Wikipedia.
2) Les résultats ont été proclamés très vite, ce à quoi les partisans d'Ahmadinejad répondent que les partisans de Moussavi eux aussi s'étaient proclamés vainqueurs avant même la cloture du scrutin.
3) M. Moussavi qui est un azéri est donné perdant en Azerbaïdjan iranien. Toutefois Ken Ballen and Patrick Doherty dans un article du Washington Post ont révélé récemment que leur propre sondage avait donné Ahmadinejad vainqueur das les circonscriptions azéries (selon leur sondage du reste Moussavi ne l'emportait que dans la bourgeoisie urbaine diplômée). L'idée selon laquelle les Azéris ne votent que pour un azéri apparaît à beaucoup trop "communautariste" pour être appropriée à a situation de l'Iran.
4) Des irrégularités mineures ont été relevées
Des absences de bulletins ont été constatées. On reproche aussi au système de ne pas favoriser le secret du vote car les illettrés ont besoin de l'aide de tiers pour écrire le nom de leurs candidats sur les bulletins. Mais ce genre de carence qui se constate aussi dans d'autres pays n'a pu, de l'avis de nombreux observateurs, ne peut jouer qu'à la marge. Selon Al Manar-TV (la chaîne du Hezbollah, mais c'est une source qui peut prêter à caution) le chef du service de renseignements israélien Meïr Dagan, a lui-même aurait déclaré mardi à la Knesset que "la fraude électorale en Iran n'est pas différente de ce qui se passe dans les États libéraux lors des élections". Un observateur russe Pavel Zarifoulline, rédacteur en chef du portail analytique Geopolitika a déclaré " A titre d'observateur, j'ai participé à bien des élections, notamment en Biélorussie et en Moldavie, mais je n'ai vu nulle part d'élections aussi démocratiques qu'en Iran". Selon lui seule la capitale Téhéran soutenait Moussavi.
La réalité des ingérences étrangères aussi prête à débat. Si la "révolution verte" peut être comparée aux révolutions colorées de Serbie, d'Ukraine et de Géorgie par les thèmes qu'elle invoque (l'attrait du mode de vie occidental, la mise en valeur des jeunes) et par les brouillages idéologiques auxquels elle se livre (Moussavi se veut par moment plus fidèle à l'esprit du Khomeinysme qu'Ahmadinejad... tout en prônant une intifida électronique en Palestine plutôt qu'une intifida réelle), le preuves sont pour le moment rares.
Ce que l'on sait avec certitude c'est que les actions de la CIA en Iran sont effectives depuis mai 2007, mais on ignore si elles ont pris une ampleur particulière à l'occasion de ce scrutin.
Depuis quelques jours, les Etats-Unis donnent des petits signes discrets de soutien à Moussavi. Selon Associated press par exemple Washington a demandé à Twitter (un outil de réseau social et de microblogage par messagerie et SMS) de reporter une opération de maintenance prévue pour lundi, qui aurait privé les jeunes Iraniens de l'un de leurs moyens de communication privilégiés en pleine contestation de l'élection présidentielle, selon trois responsables américains ayant requis l'anonymat.
Le département d'Etat américain (Affaires étrangères) est intervenu auprès de la direction de Twitter afin d'éviter l'interruption d'une heure et demie initialement prévue sur le réseau, qui permet de publier des messages au format SMS (140 signes) sur un forum en ligne, par ordinateur ou par téléphone portable (AFP).
La demande de l'administration a apparemment été satisfaite, et les Iraniens privés d'accès Internet qui pouvaient encore se connecter au réseau téléphonique ont ainsi continué d'envoyer des SMS sur la situation sur place.
Est-ce à dire que les partisan de Moussavi sont "téléguidés" par des lobbies occidentaux, ou du moins fortement appuyés par eux à l'intérieur même des frontières iraniennes ?
Les dirigeants occidentaux connus pour être les plus favorables aux intérêts d'Israël, sont parmi les plus ardents à dénoncer les soi-disant fraudes électorales : tel est le cas en France de M. Kouchner qui peu de temps avant que l'armée américaine ne force G. W. Bush à modérer ses positions avait suggéré que l'Iran devait se préparer à la guerre, et de M. Sarkozy (lequel semble songer à placer Abu Dhabi sous le parapluie nucléaire français face à l'Iran), qui trouve "intéressant" le réveil de l'opposition à Ahmadinejad. L'Union européenne a demandé lundi 15 juin à l'Iran qu'une enquête soit réalisée sur les accusations de fraude électorale. Les principaux leaders ont condamné la répression qui s'abattait sur les partisans de Moussavi. Selon le diplomate indien M K Bhadrakumar, seuls les Européens peuvent être en première ligne sur le dossier iranien, vu l'impopularité des ingérences américaines en Iran depuis 1953, mais les Européens ne sont pas aussi habiles que les néo-conservateurs étatsuniens pour organiser des "révolutions de couleur"...
Dès le 10 juin le responsable des gardiens de la Révolution Yadollah Abbasi avait parlé d'un risque de "révolution de velours" ou de "révolution orange" à Téhéran du fait que Moussavi voulait accaparer le "vert" (couleur de l'Islam) pour mener à bien son projet de renverser Ahmadinejad.
Est-ce à dire que les organismes autrefois accusés d'avoir organisé des révolutions de couleur (la Fondation Soros, USAID, le National Endowment for Democracy, la Albert Einstein Institution, voire la CIA) sont impliqués de façon directe dans les événements des derniers jours ? Comme c'est souvent le cas, Thierry Meyssan depuis son exil proche-oriental fait partie de ceux qui mettent en cause plus précisément la CIA : en reprenant la nouvelle ci-dessus concernant l'intervention des Etats-Unis auprès de Twitter, Meyssan accuse la CIA de semer systématiquement la confusion dans l'opinion publique iranienne "en inondant les Iraniens de messages SMS contradictoires". Twitter aurait déjà été utilisé dans l'insurrection moldave d'avril dernier. Mais la thèse de Meyssan pourrait n'être qu'une extrapolation.
Pour l'heure le soupçon d'une "révolution orange" comparable à celles d'Europe de l'Est demeure hypothétique.
F. Delorca